Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
REVUE DES DEUX MONDES.

tion, a enlevé ses tréteaux et replié ses rideaux verts : c’est bien là l’expression du personnage, son costume fourré et chaud, et son air d’homme maladif, qui perce à travers les membres gigantesques de la statue de Keiser. Que fait donc là ce docteur, avec son livre à la main, au milieu du commerce de Rotterdam, de ces allans et venans qui traversent le pont, la mine grave et froide, silencieux, calculant le gain et la perte, de ces bateaux pesans qui remontent le canal, de ces gens qui déchargent les marchandises d’importation et chargent les marchandises d’exportation ; non loin de ce petit temple bâtard, à portique, qui est la bourse de Rotterdam, et dont les colonnes grecques contrastent si singulièrement avec ces maisons triangulaires dont les étages, en saillie les uns sur les autres, semblent regarder, derrière le rideau d’arbres qui le bordent, ce qui se passe dans le canal ? Que fait-il là dans ce bruit si peu propice à la lecture ? Si encore ce livre était un livre en partie double ! Mais non ; ce livre représente les dix volumes in-folio sortis de la plume du personnage, où les bonnes choses lui appartiennent en propre, et le fatras à son époque. Ce personnage, c’est Érasme, Érasme de Rotterdam, la seule gloire littéraire de cette ville où il y a toujours eu beaucoup de libraires et très peu de littérature.

L’effigie d’Érasme, avant d’être en bronze, fut d’abord en bois, puis en pierre. La statue de bois fut érigée en 1549, dix ans après la mort d’Érasme. Celle de pierre, qui y fut substituée en 1557, renversée par les Espagnols en 1592, et jetée dans le canal, fut remplacée, un demi-siècle après, par la statue en bronze, qui est celle dont nous parlons. Faut-il voir dans ces trois statues successives, dont la première est en bois et la dernière en bronze, la gradation des sentimens d’estime et d’admiration de Rotterdam pour son illustre enfant, sentimens d’abord très discrets et très serrés, ensuite un peu plus vifs, vers 1557, enfin portés au paroxisme en 1622 ? Ou bien, dans les trois cas, la ville n’a-t-elle fait que ce que ses finances lui permettaient de faire ? Les admirateurs d’Érasme ont dit qu’il avait eu cela de commun avec les divinités de l’ancienne Rome, lesquelles eurent des statues d’argile avant d’avoir des temples d’or. À la bonne heure.

Lorsque Philippe ii, fils de Charles-Quint, fit son entrée so-