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conspiration intérieure ? Une machine infernale qui éclatera sous nos pas ? Vous n’y êtes point. Il est vrai que la police s’occupe du complot anniversaire qu’elle se fait un devoir de découvrir chaque année, à l’approche des fêtes de juillet, et que sa conspiration annuelle est déjà annoncée ; mais la grande conspiration qui met le ministère en fureur, est celle que M. Molé a tramée et exécutée à lui seul, sur son banc de pairie, qu’il abandonne pour aller se reposer à Plombières des ennuis et des agitations du procès. Il faut dire que le général Berthezène, que le comte de Guéhéneuc, que le baron de Barante, que M. de Flahaut, que le duc et le marquis de Grillon, que MM. Ornano, Lavillegontier, Villemain et d’autres, pourraient bien suivre M. Molé. Aussi M. Molé est-il devenu un mauvais citoyen et un juge félon. M. Molé, nous l’espérons, supportera sa disgrace avec patience. Les épithètes dont on l’a gratifié, ne sont pas nouvelles, accollées à son nom ; les peintures du Louvre témoignent que Mathieu Molé dut autrefois les entendre, et l’histoire les a enregistrées depuis long-temps. En vérité, l’esprit de contumace est dans cette famille.

M. Molé avait demandé la libre défense des accusés, il s’était opposé, autant qu’il est en lui, à la violence qui les a traînés malgré eux devant la cour, et, en dernier lieu, il avait déclaré qu’il n’admettait pas le jugement sur pièces. Après avoir subi l’abandon successif de tous ses principes de juge, et avoir attendu jusqu’à ce que le dernier de ces principes fût violé, il a dû se retirer. On lui devait des remerciemens pour avoir pris si long-temps part au procès, on lui a décerné des injures.

Le procès a été rendu impossible le jour où la cour des pairs a ratifié l’arrêt de son président, qui n’admettait pas la liberté de la défense ; tôt ou tard on devait en venir où l’on en est venu à cette heure ; tel a été l’avis de M. Dupin, de M. Molé et de tous les hommes sensés que les passions politiques n’aveuglent pas. Le procès marchera de scandale en scandale ; le mépris de toutes les formes de la justice en signalera toutes les phases, et bientôt il ne restera, pour entendre les imprécations du banc des accusés, que ceux auxquels elles s’adressent plus particulièrement, que M. Barthe, M. Cousin, et les provocateurs de cette triste procédure. Au reste, nous croyons savoir que la colère ministérielle contre M. Molé n’est pas partagée en haut lieu, et que là on n’a pas seulement essayé de retenir le noble pair par quelques-unes de ces paroles dont on n’est pas avare. M. Molé, qui porte un caractère ferme et arrêté sous les formes les plus douces et les plus conciliantes, n’eût sans doute pas obtempéré à une telle invitation ; mais il paraît qu’elle ne lui a pas même été faite. Serait-ce une désapprobation tacite de la marche imprimée au procès par le ministère, une réserve préparée pour le cas de la formation d’un nouveau cabinet ? Nous l’ignorons ;