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DÉBATS SUR LE CHRISTIANISME.

s’être détrompé des superstitions passagères, on ne se détrompe pas de l’éternelle vérité. Et comment veut-il que l’homme se détrompe de Dieu, sans se détromper de lui-même ? et n’est-ce pas la mort qu’il se donnerait, s’il parvenait à étouffer la divinité dans son cœur ?

Voici un autre livre, intitulé le Berceau de la morale ou le Ladravisme, qui concorde davantage avec les sentimens qui agitent notre siècle. La lecture de cet ouvrage, dont l’auteur a voulu rester inconnu, n’est pas sans attraits. On y sent la force et l’originalité sous des formes étranges et bizarres. L’auteur a transgressé le christianisme pour chercher une autre manière de se représenter un dieu et une religion. On trouve dans cet écrit un matérialisme mystique plein d’enthousiasme et de chaleur. L’auteur hésite encore entre le panthéisme de la matière et le panthéisme de l’idée ; mais il est sincère, mais il est passionné et parfois éloquent. Voici une curieuse boutade sur Jean-Jacques. « Cet ours de Genève, qu’il fut ombrageux ! comme il cassait tout en se cabrant ! Dans sa colère, il se blessait lui-même. Il aimait mieux s’écorcher, s’enlever la peau dans un chemin d’épines, que de suivre la route des encyclopédistes. C’est par boutade contre Grimm peut-être que Rousseau a laissé vivre Dieu. Sans sa discorde avec les Holbachiens, qui sait s’il n’eût émancipé l’univers ? On a gagné l’ame et la Providence à sa mauvaise humeur ; le sanglier a relevé ces deux choses d’un coup de boutoir. » L’auteur veut parler ici du Dieu traditionnel que Jean-Jacques a défendu dans sa Profession de foi du Vicaire savoyard ; car, pour le Dieu ame de l’univers et de l’homme, dont l’humanité se renouvelle à elle-même l’image d’intervalle en intervalle, rien ne saurait l’abolir. L’écrivain inconnu qui a tracé l’ouvrage dont nous parlons ici, est lui-même rempli de la conscience de Dieu ; car il est pénétré de la puissance des idées. À chaque page éclate sa foi dans l’autorité de la raison et de la philosophie. Qu’il continue son œuvre avec plus de méthode et de recueillement ; qu’il supprime les formes puériles et bizarres qu’il donne parfois à sa pensée ; plus simple, plus réfléchi, plus consciencieux de lui-même, il méritera de se faire lire ; sa raison est étendue, son imagination paraît