Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
REVUE DES DEUX MONDES.

En changeant la dynastie, l’aristocratie britannique entendait conserver le pouvoir ; en France, on aspirait à le conquérir. Or, les révolutions qui ont pour but la conquête sont nécessairement plus radicales que celles qui ont pour but de conserver : de là l’esprit rigide et traditionnel de celle de 88. L’aristocratie respecta de vieilles libertés, qui étaient son ouvrage et faisaient sa gloire en même temps que sa force ; elle s’inclina devant une royauté, émanation et couronnement de sa propre puissance. La pairie d’Angleterre refusa de s’engager dans la carrière des révolutions ; elle se prit à ces subtilités légales dont les Anglais semblent avoir hérité le goût et l’intelligence des Romains, pour maintenir l’opinion dans le religieux respect des principes qu’elle avait prétendu sauver et non pas compromettre, et les communes elles-mêmes, qui venaient de chasser un roi et d’en faire un autre, hésitèrent à se déclarer parlement régulier, faute d’un writ de la couronne qui les convoquât dans la forme consacrée !

Dans un tel siècle et dans un tel pays, on pouvait parler de son respect pour la constitution, sans avoir sur les lèvres le rire des augures.

Mais si l’avènement de la maison de Hanovre tendit en Angleterre tous les ressorts des institutions, il est trop évident que les trois journées ont usé, à l’égal de trois siècles, les fictions constitutionnelles, lorsqu’elles commençaient à peine à prendre racine sur un sol qui leur est peu favorable. Comment parler d’inviolabilité royale, quand trois générations de rois sont à Prague en même temps que les ministres de la royauté sont à Ham ? Aussi, dites-moi, qui s’est le moins du monde préoccupé de la loi récente sur la responsabilité ministérielle, à part les dispositions relatives à la responsabilité civile qui peuvent recevoir une application régulière ? Cette œuvre est capitale pourtant sous une monarchie représentative ; durant la restauration, elle eût été prise au sérieux par le pays, par la presse, peut-être même par les avocats qui l’auraient discutée : si elle ne préoccupe pas aujourd’hui la pensée publique, c’est que sans doute il y a des motifs graves à cela.

Qui songe également à compter encore au nombre des pouvoirs sociaux une pairie mutilée, qui a dû contresigner sans résistance le plébiscite mortel que la garde nationale lui présentait au bout de ses baïonnettes ? La pairie est appelée, nous le croyons, à raison des lumières personnelles de ses membres, à conquérir une haute et heureuse influence dans le maniement des affaires du pays, dans la trituration de ses lois et l’alignement des budgets ; c’est le conseil d’état de l’empire avec plus d’indépendance et d’autorité : mais il n’y aura jamais en elle une étincelle de vie politique. Elle a trop d’expérience pour l’ignorer,