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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

est d’initier la classe moyenne à la vie publique, en faisant son éducation politique et administrative.

Cette mission sera longue, car l’œuvre est ardue : les classes moyennes, en entrant dans les affaires, n’y apportent pas ces précieuses traditions que les patriciats transmettaient, pour ainsi dire, avec le sang à Rome, à Venise, en Angleterre ; elles sont libérales par l’esprit, non par le cœur ; elles ont des intentions probes, mais les antipathies d’un autre temps en restreignent l’élan et les tiennent en échec ; leurs vues sont saines, mais l’enseignement superficiel de la presse y a mêlé des axiomes d’une application impossible ; elles sont sans convictions politiques, mais cette absence de croyances et de fortes affections est tempérée par de rigides habitudes de légalité civile, élément précieux, destiné, plus que tout autre, à pénétrer les mœurs et le caractère national.

Quand on considère de ce point de vue le mouvement auquel nous assistons, on s’étonne que des esprits distingués aient pu établir une analogie sérieuse entre les évènemens de 1830 et ceux de 1688. Au rebours de la révolution qui a maintenu parmi nous le système politique à l’intérieur comme à l’extérieur, en bouleversant tout le personnel du gouvernement, la révolution d’Angleterre laissa la classe gouvernante en pleine possession du pouvoir, en le modifiant seulement dans son action. Guillaume et Marie prirent le contre-pied des princes qu’ils remplaçaient. Ils devinrent ennemis implacables de la France, de ses pensionnaires que les Stuarts avaient été ; ils se mirent à la tête de la coalition européenne, au lieu de s’annuler devant les injonctions de Versailles. Au dedans, ils continrent, par des lois sévères, les catholiques et les dissidens auxquels Jacques ii aspirait à concéder la liberté de conscience ; au lieu du droit de dispenser des lois, Guillaume proclama l’omnipotence de son parlement jusque dans ses plus tyranniques exigences.

Mais l’aristocratie continua de s’asseoir souveraine dans les conseils de la Grande-Bretagne. Les avocats n’y devinrent pas d’emblée solliciteurs-généraux, ni tous les brasseurs de bière chefs des administrations locales ; les voitures publiques n’y roulèrent pas, à grands renforts de chevaux, des légions de pétitionnaires et de fonctionnaires inconnus. Lorsque plus tard, sous le règne même de Guillaume, les tories reparurent au pouvoir, ils s’y trouvèrent tout naturellement portés par le simple effet d’une modification dans le système politique. La révolution de 1688 fut donc une révolution de doctrine, tandis que celle de 1830 fut une révolution de caste.