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la prérogative royale qu’on s’attachait à contenir dans les limites les plus étroites de l’équilibre constitutionnel. On étudiait à leur source sacrée les lois de cet équilibre merveilleux, en ne permettant toutefois à la chambre haute d’y prendre sa place que sous condition de déroger, comme elle le fit souvent, à sa mission de pouvoir aristocratique et conservateur. On s’efforçait de constituer la puissance permanente de l’électorat, c’est-à-dire la domination politique de la bourgeoisie, pendant qu’on magnifiait, avec un enthousiasme épique, la liberté de la presse, sans songer que cette arme-là ne se brise pas après la victoire, et qu’elle passe d’une main à une autre, sans s’arrêter dans aucune. Ne se croyant pas sur le point de le saisir, on contrariait le pouvoir pour le rendre impossible, on l’irritait par des piqûres, pour l’obliger à faire des fautes ; on l’enlaçait de mille réseaux dont les mailles ne se rompront jamais sous les pieds de ceux qui les ont tissées.

Extension du droit électoral, liberté illimitée de la presse, résistance à l’influence nobiliaire et cléricale, balancement des pouvoirs, responsabilité sévère des agens de l’autorité, diminution du budget, réforme du système économique : telles étaient les données universellement admises par l’opinion libérale, et qui produisaient une sorte de concert dans ses paroles et dans ses actes.

Une oreille délicate discernait sans doute çà et là quelques notes discordantes. Des glapissemens aigres, comme des rires ironiques, des bruits sourds, semblables au roulement lointain de l’orage, venaient parfois troubler une harmonie qui s’élevait solennelle et forte comme la voix de tout un peuple ; mais, ainsi que dans les siècles croyans les libres penseurs se cachent, on se gardait d’un doute apparent en face de l’orthodoxie générale, et il est très vrai de dire que la France était pleine de foi en la Charte, la veille même du jour où cette Charte allait expirer pour ne plus renaître.

Peut-être la révolution de 1830 est-elle, entre tous les grands évènemens historiques, celui qui a porté la confusion la plus inattendue et reflété la plus vive lumière sur la situation de tous les partis. Des révélations soudaines illuminèrent le fond de toutes les opinions ; le lendemain, les mots n’eurent plus le même sens que la veille. La Charte, pour laquelle on avait combattu, représenta tout autre chose que ce qu’on y avait vu jusqu’à ce jour, et l’opinion légitimiste elle-même, accommodant sa foi à d’impérieuses circonstances, accumulant les contradictions pour maintenir ses principes, et leur concilier quelques chances d’avenir, se montra sous un aspect nouveau et chaque jour moins identique avec elle-même.