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croyances vénérées de tous, dans un temps où les intérêts seuls maintiennent l’équilibre social, où l’état est constitué à la manière d’une grande compagnie d’assurances mutuelles, la logique s’émousse et faiblit devant le scepticisme et l’indifférence, comme les vibrations de la voix humaine quand elles pénètrent dans le vide.

On ne fait pas raisonner qui l’on veut, car, pour raisonner, il faut croire. Pour obliger la France, par exemple, à élever, sur le principe de la souveraineté populaire, un ordre social tout nouveau ; pour lui persuader qu’elle a perdu le droit de se défendre contre toute agression, qu’elle est marquée au front d’un signe éternel d’anarchie et d’impuissance, il faudrait commencer par lui démontrer qu’elle attachât un sens précis à ce principe, qu’elle le prît autrement que comme mot d’ordre durant le combat. Or, je soupçonne fort ceux qui vivent depuis quelques années des conséquences de la souveraineté du peuple, pour l’exploiter en faveur de deux idées contraires ; je soupçonne ceux qui ne manqueront pas de protester contre le scepticisme, ici posé comme caractère dominant de l’opinion contemporaine, de ressembler aux moralistes dont parle Pascal, qui discouraient avec d’autant plus d’éloquence contre l’orgueil, qu’ils en ressentaient de plus profondes atteintes.

On comprend que cette incrédulité aux principes a dû graduellement s’étendre jusqu’à l’efficacité des formes constitutives elles-mêmes, cette autre préoccupation de l’école du xviiie siècle. Croit-on bien sérieusement encore au mécanisme constitutionnel, à la multiplicité de ses poids et contre-poids, à l’inviolabilité sacrée de la pensée dirigeante, combinée avec la responsabilité de l’agent ?

Est-il également beaucoup d’esprits graves qui attachent aujourd’hui une importance de premier ordre pour le bien-être moral et matériel de la race humaine à la substitution d’une présidence américaine à la royauté de 1830 ? Qui ne comprend que, du moment où la pensée dominante se produit d’une manière irrésistible, où les intérêts maintiennent, par leur lest seul, la machine sociale, la question des formes gouvernementales devient secondaire en face de l’impuissance progressive du pouvoir et de l’omnipotence croissante de l’opinion ? Dès que la république n’a pu se faire adopter par cette pensée dominante, par ces intérêts si fortement organisés ; dès qu’elle ne s’est pas habilement fondue dans leur essence même, elle s’est placée en dehors des améliorations réalisables dans les conditions actuelles ; et c’est surtout parmi ceux que l’idée américaine avait groupés en une école d’abord imposante, que le scepticisme, suscité par les résistances de l’opinion