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dans le cercle des réalités positives et historiques est plus manifeste encore dans la politique que dans la philosophie contemporaine. On ne se préoccupe véritablement pas plus en ce moment en France, malgré des déclamations sans chaleur et sans portée, de la souveraineté du peuple, du droit divin, de l’égalité universelle, de la constitution de la famille, et de toutes les doctrines de la déclaration des droits ou de la législation primitive, que des idées innées ou de la sensation transformée.

La restauration fit luire quelques derniers jours sur ces controverses d’un autre temps. Mais que tout cela est loin de nous depuis cinq ans ! Voyez comme ceux-là même qui argumentent incessamment contre le pouvoir actuel à raison d’un vice d’origine, s’attachent, imprégnés qu’ils sont de l’esprit du siècle, à donner à leurs argumentations une couleur tout expérimentale et tout historique ! Les plus opiniâtres champions de l’autorité héréditaire et incommutable se gardent bien d’en faire une thèse de droit absolu, comme l’eussent fait les amis des Stuart, encore moins une thèse religieuse, comme l’aurait posée l’auteur de la Politique sacrée ; timides qu’ils sont, et comme amollis par l’atmosphère où ils respirent, ils ne font plus de leur mystique principe qu’une question de force et de durée dont doit décider l’expérience, tandis que, cédant à la même influence, les hommes de la souveraineté populaire songent moins à raisonner qu’à combattre, et n’usent de leur terrible dogme que comme d’un carreau brûlant, pour foudroyer le monde où ils se trouvent mal à l’aise.

Nulle part ne se détache en relief une foi sincère et forte, à laquelle on adhère comme à la vérité même, sans se préoccuper de ses devoirs de position, sans s’arrêter aux vicissitudes de la fortune, sans douter que Dieu et le droit ne soient avec nous. Non qu’on prétende soutenir qu’un vulgaire et sordide intérêt exerce aujourd’hui une domination exclusive. Il est maintenant, comme toujours, des hommes qui se respectent, et d’autres qui se prostituent ; il en est pour qui la reconnaissance n’est pas lourde à porter, et chez lesquels une délicatesse de cœur supplée des convictions qui s’effacent.

À cet égard notre temps est, à l’égal d’aucun autre, celui de l’honneur et du dévouement à ses amitiés ; on peut ajouter que la publicité, qui en est l’ame, rend plus difficile, sinon plus honteuse, l’apostasie de ses engagemens politiques. Mais cette fidélité à sa cause tient à la pureté de l’homme privé plutôt qu’à la foi de l’homme public ; on est ainsi parce qu’on se respecte, et non parce qu’on croit ; et des circonstances