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DE LA LITTÉRATURE AUX ÉTATS-UNIS.

les plus dangereuses ; elles tendent tous les ressorts de l’ame ; elles sont voisines de l’excès et de l’exagération, elles enivrent la pensée ; souvent à force d’orgueil et d’intensité, elles équivalent à de grands vices. Un seul mobile peut les réduire et les dompter ; une seule loi peut en devenir maîtresse ; il faut l’avouer, quel que soit le dégoût du temps où nous sommes pour toutes les convictions puissantes, cette loi qui conserve la sainteté des passions en dirigeant leur énergique flamme, c’est la pensée religieuse ; c’est la seule modératrice que l’homme ait trouvée, la seule arbitre de ce grand débat entre l’art et la vertu.

Le développement de l’esprit mercantile nous pousse, je le répète, vers une situation assez semblable à celle de l’Amérique du nord. Nous voici marchands et utilitaires. En vain les utilitaires ont essayé de construire sur la base du négoce une philosophie, une poésie. Que faire de grand et de noble, dit Burke, lorsqu’on a pour autel un comptoir, et pour bible Barème ! Gagner de l’argent est une très bonne chose ; le conserver et l’économiser sont de louables habitudes. Notre individualité se trouve très bien de ces vertus personnelles ; il est même vrai d’ajouter que l’ordre, le calme, la netteté de coup d’œil et la prévoyance exigés par le maniement des affaires commerciales sont favorables à certaines demi-vertus ; la ponctualité dans les affaires d’argent se rattache au sentiment de l’honneur ; la modération de la dépense habitue à certaines privations, et l’abnégation porte avec elle une force salutaire. Luxe, débauche, facilité de mœurs, légèreté de conduite, entraînement fatal, facilité, imprudence, imprévoyance, tous ces vices disparaissent et s’effacent nécessairement sous l’influence de la vie marchande. Mais remarquez que les avantages attachés à l’esprit de négoce, sont des négations ; il supprime et ne crée pas ; il émonde et ne fertilise pas ; il arrache des fleurs luxuriantes, sous prétexte que leurs épines sont dangereuses, mais il n’a rien de spécialement, d’intimement fécond. Sous le rapport intellectuel et moral, c’est le néant. Toute sa fertilité est matérielle. Il augmente les capitaux, il supporte les intérêts, il canalise, il défriche, il multiplie les routes, il cherche les mines d’or et d’argent, il invente des machines, il change les hommes en machines, il dispose les populations comme des groupes de chiffres, il demande à la terre autant de gerbes