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DE LA LITTÉRATURE AUX ÉTATS-UNIS.

ligion, à sa gloire, à ses malheurs : de là vient que pour juger un peuple, pour marquer son rang parmi les autres, c’est d’ordinaire sa littérature que l’on cite avant tout. Les nations sont faites de telle sorte, que, pour se comprendre mutuellement, elles ont besoin de résumer en quelques grands noms une multitude d’idées. Elles choisissent donc par instinct les renommées littéraires, pour indiquer lumineusement le pays où elles ont brillé. Shakspeare, Milton, Scott, Byron, n’en disent-ils pas plus sur l’Angleterre, que toute l’histoire de ses guerres, de son commerce ? Corneille, Bossuet, Fénelon, Racine, Mme de Sévigné, ne sont-ils pas la personnification de la France, de son humeur avantageuse, de sa foi, de sa politesse, de sa galanterie, de sa folle sagesse ? Calderon, Lope de Vega, Cervantès, ne sont-ils pas l’Espagne tout entière, l’Espagne fougueuse en amour et en religion, absurde et sublime, imperturbable et bouffonne ; l’Espagne enfin, qui toujours aura en littérature ses Pyrénées, quoi qu’on fasse pour la rendre française ? Grâce à ces quelques hommes, on sait ce que c’est qu’une nation. Essayez cela pour les États-Unis-vous trouverez de fort honnêtes écrivains, qui se croient Américains, et qui ne sont qu’Anglais ou Allemands, quand ils s’élèvent un peu ; ou bien hommes de tel district, de telle partie de ce district, quand ils restent à leur hauteur naturelle : mais vous ne grouperez pas trois ou quatre hommes de génie, qui aient puisé à des sources tout-à-fait américaines, et dont la gloire fasse écho au plus sourd battement du cœur de la nation.

Bien des gens nous diront qu’on se passe de littérature, quand on n’en a pas, et ils pourront féliciter les États-Unis de ce que nous appelons un bonheur ; mais nous invitons les esprits graves à résoudre une grande et neuve question, celle de savoir si une société qui ne peut avoir de littérature est une société modèle ; et par littérature je n’entends point, on le pense bien, une manufacture plus ou moins active de romans, de mémoires, de drames et d’élégies ; mais l’expression de quelque chose, l’image de l’état des esprits, le cachet d’une nation.

Les États-Unis, qui n’ont point de littérature, sont-ils dans les grandes conditions de la vie sociale, telles que les ont faites les nouvelles générations ? Certes, on ne peut le nier aujourd’hui, nous sommes las de calculs, las d’affaires, las de chicanes ; il nous faut