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dans les scènes qu’il emprunte à l’histoire vénitienne et allemande, le peintre souvent admirable des déserts et des colonies primitives retombe au niveau des plus médiocres conteurs.


C’est ainsi que la littérature des États-Unis m’est apparue, après une assez longue étude consacrée à ses écrivains. Loin de moi l’idée de rabaisser cette nationalité littéraire et de partager avec mistriss Trollope la triste gloire de ravaler un peuple grand, quoique jeune : Hercule au berceau. J’ai exprimé, comme disent les Anglais, honnêtement ma pensée, my honest thought. Que d’autres la jugent. Selon moi, le temps littéraire n’est pas venu pour ce vaste pays. Là l’esprit passe sous le même niveau qui égalise toutes les conditions humaines ; les hommes d’élite se taisent ou s’éteignent ; les supériorités d’intelligence meurent comme les supériorités de rang. Curieux et fabuleux spectacle, de voir cette démocratie de l’Amérique septentrionale, idole immense, toujours prosternée devant elle-même, et s’adorant éternellement, anéantir la minorité, écraser toute opposition, même mentale, proscrire toute liberté de pensée, et vivre heureuse ainsi ! La liberté matérielle et mécanique lui suffit à présent. Pour elle, tous les individus ne représentent qu’une seule puissance, le labeur ; c’est lui qui est nécessaire et qui règne. La société américaine est un atelier. Là, le travail de l’esprit est secondaire et vassal, le travail des bras indispensable et suzerain. Situation diamétralement contraire à celle du moyen-âge en Europe. Alors la domination du spiritualisme était écrasante ; les arts matériels n’acquéraient de valeur que s’ils étaient symboles d’une pensée. Le moyen-âge catholique a fait son œuvre. Que l’Union américaine fasse la sienne.

Toutes les civilisations donnent leurs produits, modifications presque infinies de l’humanité, que, pour comble de bizarrerie, l’humanité n’observe jamais. Pour moi, si je cherchais un amusement, ce serait celui-là. Les races intellectuelles et morales de notre espèce sont plus intéressantes à observer que les races des animaux. Quel caractère naît d’une société commerciale ? Le besoin du lucre, l’esprit commercial ne laissent-ils pas bien peu de diversité à l’expansion de l’ame et de l’esprit ? Un marchand ressemble terriblement à un marchand. C’est un homme utile et