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DE LA LITTÉRATURE AUX ÉTATS-UNIS.

réussit pas ! le navire est dans cet état ! À notre ancien labeur, mes enfans ! radoubons le vaisseau, et repartons ! »

Une jeune Espagnole, riche, qui vient de perdre son mari dans les guerres d’Espagne, va partir pour l’Amérique ; Mathieu Lee la prend sur son bord, avec ses domestiques, ses femmes et tout ce qui compose sa fortune. Laissons parler le poète.

« La lune monte, la nuit avance ; sous le mât, un homme se tient debout, pensif, les bras croisés ; c’est Mathieu Lee ! — Tu sais quelle est ta promesse ; tu sais qu’elle est jeune et malheureuse ; qu’elle est seule et qu’elle se fie à toi !

« Tu sais qu’elle te parlait avec plaisir et t’écoutait avec douceur : tu étais plus heureux et moins sombre, quand sa voix harmonieuse s’adressait à toi. Pauvre enfant ! elle n’a point de consolateur ! Non, Mathieu Lee ! tu ne lui feras pas de mal. Mathieu regarde la mer calme et le ciel calme ! Un murmure et un juron lui échappent. — « Pas ce soir ! la nuit est trop belle ! »

« Mathieu s’endort ; il rêve d’or et de diamans ; il étend ses mains avides vers un monceau de perles étincelantes ; il s’éveille en criant : Un rêve ! Se laisser troubler par un rêve ! Non, non, ce n’est pas possible ! Ce repentir passager t’a donc ôté le courage ? Sois homme, morbleu, et ne perds pas l’occasion de la fortune, parce qu’une femme est triste !

« Allons, main sanglante, il te faut du sang ! prends-le ! L’écume roule sur la crête des flots ; les étoiles se cachent et se troublent ; l’Océan pleure sur les morts qu’il a ensevelis. L’œuvre fatale va commencer ; Mathieu a fait un signe ; l’équipage silencieux glisse dans l’entrepont ; le vaisseau marche, comme un tombeau sur la mer, sans faire de bruit ; on entend, du fond du navire, jaillir des cris affreux qui semblent émaner du centre de la terre ; des cris infernaux : — on égorge les passagers dans leur sommeil.

« L’accent de l’agonie, le hurlement, le gémissement, la lutte, les coups portés et rendus, la malédiction, le sanglot, le soupir, la prière étouffée, le dernier râle, le sourd murmure, tous ces bruits se confondent. Et la lampe de la cabine éclaire douloureusement ces hommes pâles, ces joues brûlantes, ces taches de sang, ces fronts humides, ces mains chaudes et rouges. — Lee arrive et re-