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MATTEA.

der, et de l’amener demander pardon à sa mère à l’heure du souper. En attendant que la petite eût le temps de faire ses réflexions, je suis sorti, emportant la clé de sa chambre dans ma poche, et songeant moi-même à ce que je pourrais lui dire de terrible et de convenable pour la frapper d’épouvante et la ramener à la raison. Malheureusement l’orage m’a surpris au milieu de ma méditation, et voici que je suis forcé de retourner au logis, sans avoir trouvé le premier mot de mon discours paternel. J’ai bien encore trois heures avant le souper, mais Dieu sait si les questions, les exclamations et les lamentations de la Loredana me laisseront le loisir d’un quart d’heure pour me préparer à la conférence. Ah ! qu’on est malheureux, excellence, d’être père de famille, et d’avoir affaire à des Turcs !

— Rassurez-vous, mon digne monsieur, répondit la princesse d’un air grave. Le mal n’est peut-être pas aussi grand que vous l’imaginez. Peut-être quelques exhortations douces de votre part suffiront-elles pour chasser l’influence du démon. Je m’occuperai, quant à moi, de réciter des prières et de faire dire des messes. Et puis je parlerai ; soyez sûr que j’ai de l’influence sur la Mattea. S’il le faut, je l’emmènerai à la campagne. Venez me voir demain, et amenez-la avec vous. Cependant faites bien attention à ce qu’elle ne porte aucun bijou, ni aucune étoffe que ce Turc ait touché. Veillez aussi à ce qu’il ne fasse pas devant elle de signes cabalistiques avec les doigts. Demandez-lui si elle n’a pas reçu de lui quelque don, et si cela est arrivé, exigez qu’elle le remette, et jetez-le au feu. À votre place, je ferais exorciser la chambre. On ne sait pas quel démon peut s’en être emparé. Allez, cher Spada, dépêchez-vous, et surtout tenez-moi au courant de cette affaire. Je m’y intéresse beaucoup.

En parlant ainsi, la princesse, qui était arrivée à son palais, fit un salut gracieux à son protégé et s’élança, soutenue de ses deux gondoliers, sur les marches du péristyle. Ser Zacomo, assez frappé de la profondeur de ces idées, et un peu soulagé de son chagrin, remercia les gondoliers, car le temps était déjà redevenu serein, et reprit à pied, par les rues étroites et anguleuses de l’intérieur, le chemin de sa boutique, située sous les vieilles Procuraties.