Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
REVUE DES DEUX MONDES.

cidre, que Voss, en Allemagne, Philips, en Angleterre, ont si plaisamment, quelquefois si gaiement répandue sur la pastorale, devenue un tableau de Téniers. On est sévère sur l’étiquette en Amérique ; quand on est riche, on prétend au bon ton. Voyez que d’obstacles ! que de négations ! que de chaînes ! quelle contrainte ! Pauvre poète américain ! chante comme tu pourras, dans ta cage puritaine, sous ton niveau populaire, les ailes proprement coupées, sans nid de feuillage et sans ciel d’azur.

D’ailleurs, il y a peu de mal-être en Amérique ; la poésie souffre de cet état prospère. Le mal-être fait les grands poètes. En Amérique, dès qu’un citoyen est mécontent, qu’un fils trouve sa légitime trop courte, qu’un banqueroutier se lasse de sa cinquième banqueroute, il y a, pour tous ces hommes, la ressource du désert, ressource honorable et réhabilitante, colonisation incessante et facile. On défriche, on exploite, on travaille, et nul n’y trouve à redire. La société compte sur cet exutoire perpétuel. Mais aussi elle n’a pas de lord Byron, que les souffrances des salons grandissent et irritent ; pas de chapelain Crabbe qui ait vécu à l’école de la faim et de la souffrance ; pas d’Ebenzer Elliot, qui se plaigne en vers éloquens de n’avoir pas de pain ; pas de Lamartine, que les tourmentes de l’empire et de la restauration aient ramené à la poésie religieuse ; pas de Béranger, qui exprime avec un sourire amer le désillusionnement des peuples. Hélas ! que d’amertume sans doute chez tous ces poètes ! que d’angoisses dans l’inspiration de leurs chants. L’Amérique septentrionale est trop heureuse aujourd’hui de son exertion[1] physique pour produire rien qui en approche.

On ne me forcera pas, je l’espère du moins, à donner une liste complète des poètes américains. À la tête d’un recueil intitulé Selections from the American poets[2], l’éditeur, afin de repousser l’accusation intentée contre son pays, cite une grande quantité de poètes nés à Baltimore, Boston et New-York : Hopkins, Dwight, Barlow, Humphreys, Trumbull, Freneau, Servell, Linn, Lathrop,

  1. Je demande accès dans la langue française pour cet admirable mot anglais qui n’a pas d’équivalent : exertion, déploiement actif et utile d’une énergie qui se développe au dehors.
  2. In-8o. Dublin, Wakeman, 1834.