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DE LA LITTÉRATURE AUX ÉTATS-UNIS.

point de littérature ! Non, une société si vierge, si inouïe, si peu semblable à tout ce qui a vécu, n’a pu trouver une voix, une expression solennelles, indigènes ! Fenimore Cooper et Washington Irving sont tout Anglais : l’un copie Adisson ; l’autre se modèle sur Walter Scott.

Il y a d’autres raisons pour que la littérature manque à l’Union américaine. La première, la voici : les États-Unis ne sont point une société. On sait l’origine des États-Unis. Des sectaires gênés en Europe passèrent dans l’Amérique du Nord, où ils étaient sûrs d’être à l’aise ; des aventuriers en firent autant, et semèrent ces magnifiques déserts de colonies, imperceptibles germes de nations. Les indigènes, repoussés pied à pied dans les bois et les savanes, disparurent presque entièrement, sans avoir mêlé leur nationalité à l’établissement des vainqueurs, et le génie sauvage ne porta point sa vigoureuse sève dans l’esprit européen.

Voici donc deux faits bien remarquables :

D’abord les indigènes s’anéantissent, et avec eux cet ordre particulier d’idées et de sentimens, qui naît de l’affinité d’une classe d’hommes avec un sol et un climat, et imprime aux mœurs, aux lois, à la parole, un caractère ineffaçable. Puis, l’incohérence des établissemens européens des États-Unis, les oppositions de foi, d’habitude, de langage, affaiblissent encore le caractère social de ce ramas d’hommes, que l’extinction graduelle de la race indigène privait déjà d’un grand moyen d’union. On sourit en songeant à la figure que durent faire ces Anglais, ces Hollandais, ces Allemands, ces Français, que tant de causes et tant de hasards faisaient tomber sur les terres vierges du Nouveau-Monde. On les voit, sous leurs accoutremens bizarres, au milieu de leurs pins équarris et de leurs pierres mal taillées, contrastant, par leur gaucherie et leurs grossières tentatives, avec la majesté des lieux qu’ils se permettaient d’habiter. Supposez qu’un poète alors, un vrai poète inconnu, las d’avoir faim à Londres ou à Paris, s’avisât de quitter la plume pour la pioche et la hache, et de sacrifier l’espérance de l’hôpital à l’envie de voir la Virginie ou le Massachussets. En arrivant dans ce monde immense, dans un monde rempli de Dieu et de poésie sans nom, il contemple de ses yeux les sauvages fuyant de forêt en forêt, chargés des os de leurs pères, et disant adieu à leur sol. Ne comprend-