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PORTRAITS DE ROME.

être complet. Mais l’âme de Goëthe, si ouverte à la beauté de l’art antique et à tout ce qui dans la nature ressemblait à cette beauté harmonieuse et tempérée, n’était pas également accessible à une sublimité sévère, à une majesté triste. Elle recherchait trop, à Rome, les impressions douces et sereines, pour s’abîmer dans les émotions sombres ; de plus, un certain grandiose avait manqué aux premières habitudes de ses rêveries. Elles enfantèrent Werther et Faust dans les riantes, mais un peu mesquines vallées de l’Allemagne. Atala et René naquirent dans la savanne immense, au bord des gigantesques eaux du Meschascébé. Les solitudes vierges de l’Amérique avaient préparé M. de Châteaubriand aux solitudes séculaires de la campagne romaine.

Le nom que la postérité placera, non pas à côté, mais en regard du nom de M. de Châteaubriand, est le nom d’une femme. Mme de Staël. Ces deux nobles noms s’élèvent au-dessus de la littérature de l’empire, isolés par l’indépendance et par la gloire.

Mme de Staël a consacré quelques belles pages de Corinne à peindre Rome. Dans cette peinture, faite d’après l’impression que les lieux lui avaient causée, on trouve, comme il arrive pour toutes les œuvres des génies originaux, l’empreinte individuelle de son ame et le caractère particulier de son talent. On y admire plutôt la hauteur et la force des pensées suggérées par les objets à l’écrivain, que la fidèle représentation de ces objets. L’imagination de Mme de Staël est plutôt de celles qui produisent à l’occasion des choses que de celles qui reproduisent les choses même. L’impétuosité de la passion et l’ardeur de la pensée ne lui laissaient point toujours le calme nécessaire pour réfléchir la réalité. On le voit dans ce qu’elle dit des chefs-d’œuvre de l’architecture, de la sculpture, de la peinture qui sont à Rome, et que Corinne y fait admirer à Oswald. Chacun de ces chefs-d’œuvre lui inspire des idées élevées et brillantes sans doute, mais qui font un peu oublier le monument pour la théorie. Si les obélisques plaisent à l’imagination de Corinne, ce n’est pas parce qu’ils se détachent merveilleusement sur l’azur serein, c’est parce qu’ils semblent « porter jusqu’au ciel une magnifique pensée de l’homme. » Le Panthéon lui fera dire : « Les anciens ont divinisé la vie ; les modernes ont divinisé la mort ; » et Saint-Pierre : « L’architecture est une musique fixée. » Tout cela est pensé avec