Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
REVUE DES DEUX MONDES.

ce qu’elle a de plus triste et de plus majestueux, dans les ruines qui la couvrent, et dans les solitudes qui l’environnent.

Le sentiment poétique des ruines n’existait pas au xvie et au xviie siècles. Il naquit en France à la fin du xviiie avec la mélancolie, qu’on ne rencontre guère dans la littérature française avant Rousseau. Le siècle des sens et de l’esprit devait y arriver, car la mélancolie est au bout de la pensée et du plaisir. Déjà Bernardin de Saint-Pierre avait dit des choses charmantes sur la grace des ruines ; mais celui qui en révéla véritablement la poésie, ce fut l’homme qui rouvrit au siècle naissant le monde de la religion et de l’imagination, que le vieux siècle croyait avoir fermé. On avait admiré dans le Génie du christianisme une théorie éloquente des ruines, et voici que l’auteur de ce livre immortel était à Rome, au milieu des ruines de la cité impériale, devenue la grande métropole chrétienne. Comment n’eût-il pas trouvé là d’admirables paroles pour exprimer ce qu’elles lui inspiraient. N’avait-il pas appris d’ailleurs des événemens et de la vie à comprendre leur langage sévère ?… ne devait-il pas, mieux que personne avant lui, sympathiser avec ces débris illustres ?… Il avait contemplé les débris d’un édifice plus grand que les palais des Césars et les temples des dieux, ceux de l’ancienne société française écroulée à ses pieds, et cette chute avait laissé dans son ame comme un long retentissement. Il avait connu aussi la ruine des illusions et des espérances ; ce que René a dit d’une manière sublime ; ce que diront, avec plus de sublimité encore et de profondeur, ces mémoires qu’on a tant besoin de demander, pour n’avoir pas à les attendre. Il était doublement préparé par son temps et par son génie à sentir et à rendre le caractère grandiose et l’attendrissante mélancolie des ruines romaines. Il ne leur a donné que quelques lignes dans une correspondance rapide ; mais quelle précision pénétrante on trouve dans celle-ci :

« Quiconque n’a plus de lien dans sa vie doit venir demeurer à Rome ; là il trouvera pour société une terre qui nourrira ses réflexions, des promenades qui lui diront toujours quelque chose. La pierre qu’il foulera aux pieds lui parlera, et la poussière que le vent élèvera sous ses pas renfermera quelque grandeur humaine. » Ce qui suit se rapporte à la villa d’Adrien, à Tivoli, mais peint