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PORTRAITS DE ROME.

je me souviens d’avoir contemplées, enfant, dans une antichambre où mon père les avait suspendues. Tout ce que je connaissais depuis long-temps par les tableaux, les dessins, les gravures, les reliefs, le plâtre ou le liége ; tout cela est là, rassemblé devant moi ; partout où je vais, je trouve une connaissance dans un monde inconnu : tout est comme je me le figurais, et tout est nouveau. »

Le sentiment pris ici, pour ainsi dire, sur le fait, dans toute sa naïveté individuelle, ce sentiment est le même qui, exalté par la poésie, lui dictera les beaux vers de sa septième élégie. « Oh ! que je me sens bien à Rome ! Je pense au temps où, dans le nord, un jour grisâtre m’enveloppait ; le ciel s’abaissait lourd et sombre sur mon front ; je languissais au sein d’un monde sans forme et sans couleur ; je m’abîmais dans l’éternelle contemplation de moi-même ; je me fatiguais à sonder les routes sombres de mon esprit sans repos. Maintenant, autour de mon front rayonne l’auréole d’un éther serein. Apollon le dieu évoque les formes et les couleurs ; la nuit étoilée resplendit, elle résonne de chants d’amour ; la lune brille ici plus claire que le jour du nord. Ô quelle félicité m’a été accordée, à moi mortel ! Est-ce un songe ? ô Jupiter ! ô père des dieux, ouvres-tu à l’étranger ton palais parfumé d’ambroisie ? Je suis ici prosterné, tendant mes mains suppliantes vers tes genoux ; accueille-moi, ô Jupiter Hospitalier ! Je ne saurais dire comment je suis venu jusqu’ici ; Hébé a pris le voyageur par la main, et m’a introduit dans le temple. Lui as-tu ordonné, ô père des dieux ! d’y conduire un héros ? la belle déesse s’est-elle trompée ? Pardonne alors, et laisse-moi profiter de son erreur ; la Fortune est aussi ta fille, elle distribue ses dons à la manière des jeunes filles, comme la pousse son caprice ; es-tu vraiment Jupiter Hospitalier ? Oh ! alors ne repousse pas l’étranger qui t’aime, ne le repousse pas de ton Olympe sur la terre ; où es-tu monté ? ô poète ! Pardonnez, le sommet du Capitole est pour moi un second Olympe ; que Jupiter me souffre ici, et qu’Hermès, bien tard, du pied de la pyramide de Cestius[1] me conduise chez les ombres !

Il est impossible de se faire plus complètement païen, d’invoquer plus naturellement Jupiter, Apollon, Hermès ; on sent que le poète

  1. Le cimetière des protestans à Rome est au pied de cette pyramide.