parvint à réfléchir, dans les brumes de son imagination septentrionale, quelques beaux rayons du soleil du midi. Ce fut surtout à Rome, parmi les merveilles du Vatican et de la galerie du cardinal Albani, que se forma en lui cette religion de l’idéal antique dont il fut le prêtre enthousiaste… Voilà donc enfin, à Rome, un homme qui sent le beau, qui aime l’art. Jusqu’ici les monumens antiques avaient excité l’érudition ; désormais ils inspireront l’éloquence ; désormais aussi vont abonder sur ce sujet les déclamations cruelles et les froids dithyrambes. Une nouvelle source de sublime produit toujours un nouveau torrent de ridicule.
Disciple de Winkelmann, Goëthe voyait dans Rome le sanctuaire du beau, le musée de l’art ancien et de l’art moderne ; c’est par ce côté qu’elle l’attirait puissamment. Goëthe, élevé par un père amateur et dillettante, Goëthe, organisé pour les arts qu’il connaissait, et jusqu’à un certain degré pratiquait depuis son enfance ; après avoir exprimé, par entraînement et par contagion, la mélancolie germanique dans Werther et Faust, le moyen-âge germanique dans Goëtz de Berlichingen, la sentimentalité allemande dans Stella, se tournait depuis quelque temps, par goût et par système, vers l’adoration de la forme et du style antiques, qu’il essayait de reproduire dans Iphigénie et Torquato.
Telle était la disposition de son ame, et la phase de son génie, quand il vint à Rome en 1786. C’était pour lui plus qu’un simple voyage, c’était un grand évènement, une grande crise dans sa vie intérieure. C’était une transformation morale et poétique qu’il voulait accomplir en lui ; il allait à Rome, chercher l’initiation aux mystères de l’art, et demander le baptême de l’antiquité.
Dans deux genres différens, ses lettres et ses poésies expriment, avec une vivacité pareille, son bonheur de se sentir à Rome et d’y vivre. « Enfin, écrit-il à un ami, je suis donc dans cette capitale du monde… à peine osais-je me dire à moi-même où j’allais ; en chemin je craignais encore, et ce n’est que sous la porte du peuple que j’ai été bien sûr de tenir Rome… J’ai franchi comme au vol la route du Tyrol… Je ne me suis arrêté que trois heures à Florence… Maintenant que je suis ici, je suis calmé, et calmé, je crois, pour la vie ; tous les rêves de ma jeunesse sont maintenant des réalités vivantes ; je vois les originaux des premières gravures que