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l’antiquité ; le puritanisme qu’il apportait à Rome dut s’y raidir encore plus dans son ame, en présence de l’idolâtrie papiste et des abominations de Babylone. Le Paradis des Fous, grotesque épisode du Paradis perdu, semble, en quelques endroits, un rancuneux souvenir des superstitions romaines. Mais tout puritain qu’était déjà Milton, il était jeune et beau, dans ce voyage d’Italie, où de charmantes inconnues le regardaient dormir, et improvisaient des vers sur ses yeux fermés par le sommeil. Et lui, il ne nous a guère laissé de son séjour à Rome d’autre trace que des vers galans, écrits en latin, il est vrai, par respect pour lui-même et pour le lieu, et adressés à une cantatrice nommée Léonora : Ad Leonoram Romæ canentem. Il faut y joindre une belle ode à un poète romain malade, où Milton parle du Palatin, demeure du paisible Évandre, de Numa, goûtant, dans l’horreur de son bois sacré, la béatitude du sommeil éternel, et toujours penché sur l’onde, où il contemple son Égérie… avec un sentiment mythologique et dans un langage qu’un ancien Romain n’aurait pas désavoués.

En 1701, dans la première année du XVIIIe siècle, un poète anglais bien différent de Milton était à Rome.

Dans son voyage en Italie, Addison n’est presque occupé qu’à retrouver dans les monumens l’explication et pour ainsi dire la traduction des passages des écrivains anciens qui s’y rapportent. Rome, en particulier, est pour lui un commentaire perpétuel de la littérature latine, et rien de plus. Sous ce rapport, il est le type et le père de tous les touristes scholars jusqu’à Eustace… Dans son épître sur l’Italie, la même prédominance de cet objet de ses prédilections se retrouve sans doute, mais à côté de l’antiquaire se montre ici le politique, le partisan de la révolution de 1688, celui qui devait célébrer Marlborough comme il avait célébré Guillaume, celui qui, douze ans plus tard, devait donner ce Caton qu’il composait pendant son voyage d’Italie, et auquel le parti wigh réservait un succès d’enthousiasme et de circonstance. Dans l’épître sur l’Italie, Addison n’est plus seulement le scholar à qui tous les lieux qu’il voit plaisent, parce que les auteurs anciens les ont illustrés ; il est pour nous le patriote un peu adulateur qui trouve moyen de parler de la Boyne à propos du Tibre. Il est pour lui-même le citoyen d’un état libre dans un pays esclave ; il plaint avec orgueil