Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
REVUE DES DEUX MONDES.

rait un naufrage en pleine mer ; je ne dîne point que je ne noircisse de la neige dans du vin de Naples… c’est affaire au vulgaire de sentir les fleurs ; j’ai trouvé le moyen de les manger et de les boire, et le printemps est toute l’année chez moi en eaux et en conserves. »

Il y a autant de recherche dans les idées que Balzac exprime et dans les images qu’il emploie, qu’il y en a dans les habitudes qu’il décrit. Il y a du sybaritisme dans ce style comme dans cette vie ; c’est un tapis de feuilles de roses, et pas une feuille de rose n’a un pli.

Mais celui qui a écrit les lignes suivantes n’était pas insensible à la majesté des souvenirs et des débris romains… « À Rome vous marcherez sur des pierres qui ont été les dieux de César et de Pompée : vous considérerez la ruine de ces grands ouvrages dont la vieillesse est encore belle, et vous vous promènerez tous les jours parmi les histoires et les fables… Il n’y a que Rome où la vie soit agréable, où le corps trouve ses plaisirs, et l’esprit les siens, où l’on est à la source des belles choses. Rome est cause que vous n’êtes plus barbares, elle vous a appris la civilité et la religion… Il est certain que je ne monte jamais au Palatin ni au Capitole que je n’y change d’esprit, et qu’il ne me vienne d’autres pensées que les miennes ordinaires. Cet air m’inspire quelque chose de grand et de généreux que je n’avais point auparavant ; si je rêve deux heures au bord du Tibre, je suis aussi savant que si j’avais étudié huit jours. »

Voilà qui est grave, senti. La sincérité de l’impression se fait jour à travers un reste de pompe et de symétrie factice, dont Balzac ne peut jamais entièrement dépouiller l’habitude.

Ce siècle était peu descriptif[1]. Nous sommes aujourd’hui arrivés à l’extrémité opposée : ce n’est que vers la fin du xviiie siècle qu’on a commencé à décrire, et encore J.-J. Rousseau, qui a fondé le genre dans quelques admirables pages de l’Héloïse et des Confessions, a passé plusieurs mois à Venise, et n’a pas décrit cette ville, dont l’aspect extraordinaire appelle et défie si puissamment la description.

  1. On en peut dire autant du seizième : Benvenuto alla plusieurs fois à Rome ; il ne donne pas sur cette ville un mot de description.