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affreuse mélancolie. Telles étaient mes impressions… Si quelque bruit rompait le silence du désert, c’étaient tantôt les cris d’une troupe de pélicans, apparaissant comme des spectres sur les rives d’un étang, tantôt le sinistre croassement d’un corbeau qui planait sur ma tête, au même moment où une louve affamée rôdait non loin de moi, et faisait retentir l’air de hurlemens qui désolaient ma solitude… » Mais à ces émotions si profondes succèdent bientôt des agitations imprévues qui enlèvent à l’ame et sa tristesse et sa sérénité. Les jeunes héros de la troupe se précipitent sur les traces d’un buffle, d’un élan ou d’un cheval sauvage ; tout le camp est en émoi, chacun appelle la victoire, et, le combat n’étant pas sans danger, le triomphe est toujours glorieux. Étrange existence que celle de ces hardis chasseurs ! Que d’hommes de notre vieille Europe qui, après avoir épuisé tout ce que les plaisirs et les affections du monde offrent de sensations fortes et de jouissances romanesques, seraient heureux de partager un instant cette carrière d’aventures, où du moins rien n’est factice, ni dans la douleur, ni dans la joie !


Nous nous occupons rarement des théâtres ; mais que se passe-t-il au théâtre qui mérite sérieusement d’appeler l’attention ? Le Théâtre-Français a repris un peu de vie sous la direction de M. Jouslin de Lasalle ; il est aujourd’hui de bon ton d’y aller entendre l’ancien répertoire, et peut-être le moyen le plus sûr d’attirer la foule serait de remonter avec éclat plusieurs pièces qui peuvent à bon droit passer pour des nouveautés auprès de la génération actuelle. L’ancienne tragédie, avec le personnel de la Comédie-Française, n’est plus possible ; mais la troupe comique compte d’excellens sujets, et l’étude du vieux répertoire aurait le double avantage de la fortifier et d’offrir d’excellens modèles à nos jeunes écrivains. Nous engageons M. Jouslin à entrer plus avant encore dans cette voie, et d’appeler à l’aide de sa troupe vieillie de jeunes talens qu’on est tout étonné de ne pas trouver au Théâtre-Français. Comment Bocage, le seul appui du drame moderne avec Mme Dorval, n’est-il pas rue de Richelieu ? La manière distinguée dont cet artiste vient de créer le rôle d’Ango dans la pièce de ce nom, jouée avant-hier à l’Ambigu-Comique, devrait faire tomber les préventions des plus vieux sociétaires de la Comédie-Française. C’est Bocage qui a fait le succès du drame d’Ango ; mais sa place n’est pas à l’Ambigu-Comique, ni même à la Porte-Saint-Martin ; elle est ailleurs. M. Jouslin le sait aussi bien que nous.


F. BULOZ.