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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

tout en se divisant en partis hostiles, tout en sollicitant le secours des communes, pour se déchirer elle-même, n’en voulait pas moins conserver ses prérogatives et son pouvoir absolu sur le corvéable. Il résulta nécessairement de ces prétentions contraires un désaccord radical entre le populaire et les gentilshommes, désaccord qui les empêcha de travailler utilement à l’affranchissement de la Bretagne. Bientôt même les paysans firent cause à part, et commencèrent à courir sus aux seigneurs et à leurs hommes d’armes, quel que fût leur gonfanon et leur cri de rescousse. Mais cet élan révolutionnaire était prématuré, ce n’était qu’une de ces crises de fièvre et de colère auxquelles un peuple, malade de son état social, s’abandonne de temps en temps ; indispositions passagères, qu’un peu de sang apaise bien vite, que nos vieux historiens désignaient sous l’expression poétique d’émotion du populaire, et nos gazettes d’aujourd’hui sous le nom d’émeutes. L’émeute de la Bretagne eut le résultat de toutes celles qui n’ont pas l’esprit de naître viables et de grandir jusqu’à la révolution. On tua ce que l’on put de rebelles, on pendit ce que l’on prit, et, comme il fallait quelqu’un qui payât les frais de la guerre, on pardonna au reste. La noblesse bretonne fit ensuite sa paix avec le roi, qui lui accorda toutes sortes de faveurs pour se l’attacher, et tout alla comme devant. Ce fut la dernière tentative de la Bretagne pour s’isoler, et le dernier rêve d’indépendance de nos communes. Le peuple, détrompé de ses espérances, se replongea dans son indifférence politique, et n’opposa plus à la conquête française que la résistance d’inertie de ses coutumes, de sa langue et de ses superstitions. Ces moyens, si faibles en apparence, ont seuls suffi pour lui conserver, pendant trois siècles, sa physionomie spéciale, et ce n’a pas été, à notre avis, un spectacle sans intérêt que cette lutte silencieuse et héréditaire de quelques milliers de familles contre l’influence étrangère, lutte que prolongeront encore quelque temps les croyances et l’amour du sol, mais dont on peut prévoir la fin prochaine, et dont nous consignons ici l’expression dernière.

Ainsi, trois siècles auront suffi pour renouveler les pensées de la race la plus énergique, la plus volontaire ; d’une race dont la ténacité a reçu la plus incontestable de toutes les confirmations, celle d’un proverbe populaire. Trois cents ans, jour pour jour, après cette soirée où nous avons représenté une réunion d’auteurs bretons écoutant la tragédie de Sainte Triffine, se berçant de l’espoir prochain de redevenir un peuple indépendant, d’avoir une langue spéciale, une littérature, un théâtre, moi qui suis peut-être le descendant d’un de ces manans-poètes, moi, Breton francisé, tout fier de savoir un peu la langue presque perdue de mes pères, je déchiffre avec peine, sur un manuscrit rongé des mites, cette même tragédie,