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un corps. Chaque citoyen étant électeur, éligible et juré, c’est surtout à l’aide du jury en matière civile, que la magistrature américaine fait pénétrer l’esprit légiste jusque dans les derniers rangs de la nation.

L’usage des associations, si libre et si répandu aux États-Unis, est encore une garantie contre le despotisme du plus grand nombre. Elles ne ressemblent point à celles de certains pays où les partis diffèrent tellement de la majorité, qu’ils songent plus souvent à la supplanter ou à la combattre, qu’à la convaincre. Les associations américaines ne sont point des armées, mais des réunions parfaitement régulières, qui s’efforcent d’affaiblir l’empire moral de la majorité, en mettant au concours les argumens les plus propres à faire impression sur elle. Plus de douze cents journaux exempts de toute espèce d’impôts ou d’entraves les secondent dans le même esprit. Nous sommes habitués à regarder comme un grand danger l’inquiétude de l’esprit, le désir immodéré des richesses, l’amour extrême de l’indépendance. Ce sont précisément ces passions inquiètes qui garantissent un paisible avenir à la république américaine. Si elles n’existaient pas, la population se concentrerait autour de certains lieux, et éprouverait bientôt, comme parmi nous, des besoins difficiles à satisfaire. Les inconvéniens qui résultent d’un morcellement excessif des héritages, sont ajournés pour longtemps par l’abondance des terres vacantes dans les contrées de l’ouest.

N’ayant pas de voisins dangereux, les Américains n’ont par conséquent à redouter ni les généraux victorieux, ni les grandes guerres avec les embarras financiers qu’elles entraînent.

Chez eux, point de haines religieuses, parce que la religion est universellement respectée, et parce qu’aucune secte ne domine ; point de haines de classes, parce que le peuple est tout ; point de misères publiques à exploiter, parce que l’état matériel du pays offre une immense carrière à l’industrie. C’est pourquoi toute l’habileté des hommes politiques, à défaut de grandes fonctions qui leur permettent de se produire, consiste à composer de petits partis.

Le suprême pouvoir, il est vrai, semble affaibli ; on remarque qu’il cède souvent à la persévérance de quelques états, dans des questions de tarifs, de banque, ou quand il s’agit des Indiens ; mais M. de Tocqueville ne doute pas que l’union ne soit dans les mœurs des confédérés, et qu’un mouvement de réaction en faveur de la force du gouvernement fédéral ne se déclare aussitôt qu’on s’apercevra de sa faiblesse. Les Américains de notre temps ont moins de difficultés à vivre unis qu’ils n’en trouvèrent en 1789. L’Union a beaucoup moins d’ennemis qu’alors.

Aucune barrière naturelle ne s’élève entre les différentes parties de son territoire ; on y parle partout la même langue, et il n’existe pas de petite