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DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE.

La commune de la Nouvelle-Angleterre, qui offre les meilleurs exemples, tient le milieu entre le canton et la commune de France ; on y compte de 2 à 5,000 habitans, de sorte que, n’étant pas assez étendue pour que tous ses habitans n’aient pas, en général, les mêmes intérêts, elle est, d’un autre côté, assez peuplée pour qu’on soit sûr d’y trouver les élémens d’une bonne administration ; tandis que notre commune ne possède qu’un seul fonctionnaire administratif, le maire, la commune américaine compte dix-neuf fonctions principales, obligatoires pour tout citoyen.

À cette occasion, M. de Tocqueville fait remarquer avec quel art le système américain multiplie les fonctions utiles dans toutes les branches du gouvernement, afin d’intéresser plus de monde à la chose publique. De cette manière la vie sociale se manifeste à chaque instant, par l’accomplissement d’un devoir ou par l’exercice d’un droit. On pense avec raison aux États-Unis, que l’amour de la patrie est une espèce de culte auquel les hommes s’attachent par les pratiques. L’Américain aime sa commune parce qu’elle est forte et indépendante ; il s’y intéresse parce qu’il concourt à la diriger ; il place en elle son ambition et son avenir ; c’est là qu’il s’essaie à gouverner la société, qu’il s’habitue aux formes sans lesquelles la liberté ne procède que par révolutions, et comprend l’harmonie des pouvoirs qu’il pratique dans leur premier élément.

Le comté américain a beaucoup d’analogie avec l’arrondissement de France ; il n’est créé que dans un intérêt purement administratif, et de plus, comme la commune n’était pas assez étendue pour qu’on pût y renfermer l’administration de la justice, le comté forme le premier centre judiciaire, Il n’y a point, en général, d’assemblée qui le représente ; l’état et la commune suffisent à la marche habituelle des affaires.

Mais comment faire obéir les comtés et leurs administrateurs, les communes et leurs fonctionnaires, aux lois de l’Union ou de l’état ? Le pouvoir de l’administration n’offre rien de hiérarchique ni de central, ce qui fait qu’on l’aperçoit à peine. En Europe, le fonctionnaire administratif est destitué, ou avancé en grade, par ses supérieurs. Aux États-Unis, il est élu, et par conséquent, les tribunaux peuvent seuls le forcer à l’obéissance, sans violer les droits de l’électeur. M. de Tocqueville établit fort clairement que l’extension du pouvoir électif exige une extension correspondante du pouvoir judiciaire, si l’on ne veut pas que l’état finisse par tomber en anarchie ou en servitude.

Ainsi, les juges de paix, nommés en certains nombre pour chaque comté, par le pouvoir exécutif, assurent l’exécution des lois administratives, soit individuellement, soit lorsqu’ils se réunissent deux fois par année, en cour des sessions.