Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/722

Cette page a été validée par deux contributeurs.
716
REVUE DES DEUX MONDES.

aride de sa vie, et qu’il adressait aux cantonniers, aux mulets et aux pierres du chemin, faute d’un auditoire plus intelligent. Il s’arrêta aux rochers de Vaucluse, décidé à vivre et à mourir sur le bord de cette fontaine où Pétrarque allait évoquer le spectre de Laure dans le miroir des eaux. Je ne m’inquiétais pas beaucoup de cette funeste résolution. Je connais trop mon Malgache pour croire jamais à une douleur irréparable pour lui. Tant qu’il y aura des fleurs et des insectes sur la terre, Cupidon ne lui adressera que des flèches perdues. Précisément le mois de mars tapissait des plus vertes fontinales et des plus frais cressons les rives du ruisseau et les parois des rochers de Vaucluse. Le Malgache abandonna le rôle de Cardénio, fit une collection de mousses aquatiques, et vers la fin d’avril il m’écrivit : — « Tout cela est bel et bon, mais si mon inhumaine s’imagine que je vais rester ici jusqu’à ce qu’elle juge à propos de couronner ma constance, elle se trompe. Dis-lui qu’elle cesse de pleurer mon trépas, je suis encore sain et dispos. Mon herbier est complet, mes souliers tirent à leur fin, et pendant ce temps-là, ma pépinière bourgeonne sans moi. Ce n’est pas mon avis de laisser faire mes greffes par des gringalets. Oppose-toi à ce que personne y mette la main ; je ne demande que le temps de faire rémouler ma serpette, et j’arrive. »

L’infortuné revint et se résigna à être adoré dans sa famille, aimé saintement de sa Dulcinée, chéri de moi, son frère et son élève. Il se bâtit un joli pavillon sur le coteau, au-dessus de son jardin, de sa prairie, de sa pépinière et de son ruisseau. Peu après, il devint père d’un second enfant. Son fils s’appelait Olivier ; voulant aussi donner un nom de plante à sa fille, et n’en connaissant pas de plus agréable et de plus estimable que la plante fébrifuge à pétales roses, qui croît dans nos prés, il voulut l’appeler Petite Centaurée ; ce fut avec bien de la peine que sa famille le décida à renoncer à ce nom étrange.

La première visite qu’il rendit à la dame de ses pensées, après l’équipée de Vaucluse, lui coûta bien un peu. Il craignait qu’elle ne fût piquée de le voir si tôt consolé et revenu. Mais elle courut à sa rencontre et lui donna en riant deux gros baisers sur les joues. Il entra dans sa chambre et vit qu’elle avait précieusement