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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

Pour le retenir dans ses pénates, son père imagina de lui donner un carré de terre, sur un coteau ravissant, où je veux te mener promener la première fois que tu viendras nous voir. Notre Malgache y planta des arbres exotiques, fit pousser des fleurs malgaches dans notre sol berrichon, et éleva au milieu de ses bosquets un joli ajoupa indien qu’il remplit de ses livres et de ses collections. Un matin, comme je passais dans le ravin, au lever du soleil, j’arrêtai le galop de mon cheval pour contempler avec admiration des fleurs éclatantes qui s’élevaient majestueusement au-dessus de la haie. C’étaient les premiers dahlias qu’on eût vus dans notre pays et que j’eusse vus de ma vie. J’avais seize ans. Ô le bel âge pour aimer les fleurs ! Je descendis de cheval pour en voler une, et je repartis au galop. Soit que le Malgache, caché dans son ajoupa, eût été témoin du rapt, soit qu’un ami indiscret lui dévoilât mon crime, il m’envoya bientôt après des cayeux de dahlia que je plantai dans mon jardin, et c’est de là que date notre connaissance, mais non pas notre amitié ; nous n’eûmes occasion de nous voir que plusieurs années après. Dans cet intervalle, il avait pris femme, il était devenu père, et il avait augmenté son jardin d’une belle pépinière, au milieu de laquelle il a fait passer un ruisseau.

C’est alors qu’étant tous deux fixés dans le pays, et notre connaissance ayant commencé sous des auspices aussi sympathiques, nous nous liâmes d’une vive amitié. Un voyage de bohémiens que nous fîmes dans les montagnes de la Marche, jusqu’aux belles ruines de Crozant, nous révéla tout-à-fait l’un à l’autre. Quoique né dans le camp opposé, j’avais toujours eu l’âme républicaine, et je l’avais d’autant plus alors, que j’étais plus jeune et plus illusionable. Il me sut un gré extrême d’appartenir à ce type d’hommes obstinés sur lesquels les préjugés de l’éducation ne peuvent rien, et il me déclara qu’il ne me manquait, pour obtenir sa confiance et son estime entière, que d’être un peu versé dans la botanique. Je lui promis de l’étudier, et, lui aidant, je m’en occupai jusqu’au point de ne rien savoir, mais de tout comprendre dans les mystères du règne végétal, et de pouvoir l’écouter causer tant qu’il lui plairait. Je n’ai jamais connu d’homme aussi agréablement savant, aussi poétique, aussi clair, aussi pittoresque,