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riques descriptions qu’il me faisait autrefois de l’île de Madegascar, au retour de ses grands voyages) s’enrôla de bonne heure sous le drapeau de la république. Tu l’as vu ; c’est un petit homme sec et cuivré, un peu plus mal vêtu qu’un paysan ; excellent piéton, facétieux, un peu caustique, brave de sang-froid, courant aux émeutes lorsqu’il était étudiant et recevant de grands coups de sabre sur la tête, sans cesser de persiffler la gendarmerie dans le style de Rabelais, pour lequel il a une prédilection particulière. Partagé entre deux passions, la science et la politique, au lieu de faire son droit à Paris, il allait du club carbonaro à l’école d’anatomie comparée, rêvant tantôt à la reconstruction des sociétés modernes, tantôt à celle des membres du palœotherium dont Cuvier venait de découvrir une jambe fossile. Un matin qu’il passait auprès d’une plate-bande du Jardin-des-Plantes, il vit une fougère exotique qui lui sembla si belle dans son feuillage et si gracieuse dans son port, qu’il lui arriva ce qui m’est arrivé souvent dans ma vie ; il devint amoureux d’une plante, et n’eut plus de rêves et de désirs que pour elle. Les lois, le club et le palœotherium furent négligés, et la sainte botanique devint sa passion dominante. Un matin, il partit pour l’Afrique, et après avoir exploré les îles montagneuses de la mer du Sud, il revint efflanqué, bronzé, en guenilles, ayant supporté les plus sévères privations et les plus rudes fatigues ; mais riche selon son cœur, c’est-à-dire muni d’un herbier complet de la flore madécasse, guirlande étrange et magnifique, ravie au sein d’une noire déesse. C’était peut-être une fortune, c’était du moins une ressource. Mais l’amant de la science mit sa conquête aux pieds de M. de Jussieu, et se trouva récompensé au-delà de ses désirs, lorsque le grand-prêtre de Flore accorda le nom de Néraudia mélastomefolia à une belle fougère de l’île Maurice, jusqu’alors inconnue à nos botanistes. Ce fut à cette époque que, voyant passer le convoi de Lallemant, il quitta la botanique pour la patrie, comme il avait quitté la patrie pour la botanique, et après avoir eu le crâne ouvert par le sabre d’un dragon, il revint dans sa famille, volatille éclopée,


Traînant l’aile et tirant le pied,
Demi-morte et demi-boîteuse.