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ANDRÉ.

ma mort si vous voulez : je n’ai pas encore envie d’en finir pour vous laisser la liberté d’épouser une…

André fit un mouvement pour sortir afin de ne pas entendre injurier Geneviève. Le marquis le retint par le bras et le força d’écouter un déluge de menaces et d’imprécations. Il fit entrer, dans ce sermon très peu chrétien, une espèce de récrimination sentimentale à sa manière. Il lui reprocha tous les bienfaits de sa tendresse, et lui présenta, comme des preuves d’une adorable sollicitude, les soins vulgaires qu’impose à tous les hommes le plus simple sentiment des devoirs de la paternité. Il le fit en des termes qui eussent rendu son discours aussi bouffon qu’il espérait le rendre pathétique, si André eût été capable d’avoir une pensée plaisante en cet instant. — Quand vous êtes venu au monde, lui dit-il, vous étiez si chétif et si laid, que pas une femme de la commune ne voulut vous prendre en nourrice : c’était une trop grande responsabilité que de se charger de vous. Je trouvai enfin une pauvre misérable à la Chassaigne, qui offrit de vous emporter : mais quand je vous vis dans son tablier, pauvre araignée, je craignis que le soleil ne vous fît fondre dans le trajet, et je vous tirai de là, pour vous jeter sur mon propre lit. Alors je fis venir ma plus belle chèvre, une chèvre de deux ans, qui venait de mettre bas pour la première fois, et je vous la donnai pour nourrice. Je fis tuer les chevreaux et je les mangeai, et pourtant c’étaient deux beaux chevreaux ! tout le monde avait regret de voir deux élèves d’une si bonne race aller à la boucherie ; mais je ne reculai devant aucun sacrifice pour sauver cet avorton qui ne devait cependant me donner que des chagrins. Je vous gardai à la maison pendant les années où un enfant est le plus désagréable. Je me résignai à entendre les criailleries de maillot que je déteste ; Vous n’avez pas fait une dent sans que j’aie donné un mouchoir ou un tablier à la servante qui prenait soin de vous. C’était, ma foi ! une belle fille ! je n’avais pas choisi la plus laide du pays, et je la payais cher ! Je voulais qu’on n’eût pas à me reprocher d’avoir négligé quelque chose pour ce fils malingre qui me causait tant d’embarras, et qui devait ne m’être jamais bon à rien. Combien de fois ne me suis-je pas levé au milieu de la nuit pour vous préparer des breuvages, quand on venait me dire que vous aviez des convulsions !