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un peu estimable, dans des circonstances sociales où tout tend à dégrader les ames qui se laissent aller. Tu me crois probablement très supérieur aujourd’hui à ce que j’ai pu être auparavant, et tu ne te trompes pas ; mes souvenirs ne sont pas faits pour me donner de l’orgueil : mais ce que j’ai conservé de bon dans l’ame me console un peu du passé, et m’assure encore de belles amitiés pour le présent et l’avenir. C’est tout ce qu’il me faut désormais. Je n’ai nulle espèce d’ambition, et le tout petit bruit que je fais comme artiste, ne m’inspire aucune jalousie contre ceux qui ont mérité d’en faire davantage. Les passions et les fantaisies m’ont rendu malheureux à l’excès dans des temps donnés ; je suis guéri radicalement des fantaisies par l’effet de ma volonté ; je le serai bientôt des passions par l’effet de l’âge et de la réflexion. À tous autres égards, j’ai toujours été et serai toujours parfaitement heureux, par conséquent toujours équitable et bon en tout, sauf les cas d’amour, où je ne vaux pas le diable, parce qu’alors je deviens malade, spleenetic and rash.

Suis-je pour quelque chose dans vos discours ? Il n’est guère question que de toi. Les membres d’un corps ne peuvent guère oublier la tête qui les gouverne. Avant de te voir, cela m’impatientait au point que j’ai pris le parti d’aller te trouver encore cette année, afin d’avoir, au retour, le droit de dire comme les autres : Éverard pense… Éverard veut… Éverard m’a dit… etc. : pourvu que toutes ces idolâtries ne te gâtent pas !

À quand donc la conclusion ? et si tu meurs sans avoir conclu ? Ma foi, meure le petit George quand Dieu voudra, le monde n’en ira pas plus mal pour avoir ignoré sa façon de penser ; que veux-tu que je te dise ? il faut que je te parle encore de moi et rien n’est plus insipide qu’une individualité qui n’a pas encore trouvé le mot de sa destinée. Je n’ai aucun intérêt à formuler une opinion quelconque. Quelques personnes qui lisent mes livres ont le tort de croire que ma conduite est une profession de foi, et le choix des sujets de mes historiettes une sorte de plaidoyer contre certaines lois ; bien loin de là, je reconnais que ma vie est pleine de fautes, et je croirais commettre une lâcheté si je me battais les flancs pour trouver un système d’idées qui en autorisât l’exemple. D’une autre part, n’étant pas susceptible d’envisager avec enthousiasme