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lièrement puissante. Les feuilles de papier qu’il a peuplées de son crayon, pressées aux vitres de Pall-Mall comme la grève aux bords de l’Océan, ont de quoi confondre l’imagination la plus hardie. Pour atteindre à cette fécondité, il a fallu autre chose qu’un talent mécanique, quoique, à vrai dire, il y ait dans toutes ces productions une main infernale. Ce que James Watt a fait pour les machines à vapeur, Turner l’a fait pour le paysage. Il a trouvé des formules pour combiner les élémens du monde visible ; mais, tout en déplorant l’incroyable abus de ces formules, reconnaissons que l’auteur de ces équations singulières a fait preuve d’une rare énergie. Ce qu’il a gaspillé depuis dix ans dans les illustrations de la librairie anglaise suffirait à défrayer plusieurs milliers d’académies.

C. Stanfield, avec moins d’abondance et de fécondité que Turner, obtient des effets plus sûrs. Il ne métamorphose pas aussi despotiquement les points de vue semés sur sa route. Le paysage qu’il a contemplé pendant quelques heures, prend possession de sa pensée, et laisse dans sa mémoire des lignes profondes et ineffaçables. Comme Stanfield procède plus lentement, comme il ne s’est pas fait de l’improvisation un devoir constant et inflexible, il est naturellement amené à une plus grande variété ; et la variété chez lui n’est que la bonne foi du souvenir. Une scène près de Livenza, dans le golfe de Venise, atteste dans l’auteur une étude à la fois heureuse et sévère du pays qu’il a visité. Les lignes perspectives, sans être cernées mesquinement, permettent cependant à l’œil de les parcourir et de les embrasser. La couleur de Stanfield, sans avoir l’éclat de celle de Turner, est cependant d’une gamme assez élevée.

W. Daniell a pris pour thème de ses compositions une nature toute spéciale, la nature des Indes orientales. Il y aurait de notre part une véritable ingratitude à méconnaître le parti souvent très remarquable qu’il a tiré de ses études. Il copie avec une grande naïveté ce qu’il a sous les yeux ; une suite de dessins, signés de son nom, remplaceraient volontiers un voyage de plusieurs mois. Mais il ne s’élève guère au-dessus du procès-verbal. Il sait et il enseigne ; il n’invente pas. Or, la spécialité des sujets qu’il choisit ne le dispense pas de l’invention. — Et la littéralité est tellement le caractère distinctif de sa manière, que les drames les plus terribles,