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vin vieux et la remplir de vin nouveau ? Hé bien ! Querolus regarde cela comme un crime abominable ! Si peu qu’il y ait de fraude, il le soupçonne à l’instant. Il n’y a pas jusqu’aux monnaies d’argent qu’il croit qu’on lime et qu’on altère sans cesse, parce qu’on l’a fait une fois. La différence est pourtant bien petite. L’argent est toujours de la même couleur. Quant aux pièces d’or, il y a mille moyens de les altérer : nous les changeons et rechangeons ; c’est un usage qu’on ne peut changer. Il n’y a pas moyen de distinguer deux choses si semblables : qu’est-ce qui se ressemble autant qu’une pièce d’or et une pièce d’or ? Ici on prend garde à tout quand il est question d’or : on s’enquiert de l’âge, de la couleur, du titre, de la légende, de la patrie, du poids, jusqu’à un scrupule : on regarde de plus près à l’or qu’aux hommes. C’est que, quand il s’agit d’or, il s’agit de tout. »

Je ne puis m’empêcher d’interrompre un moment ce prodigieux monologue pour faire remarquer combien sont importans les détails de mœurs dont il abonde. Ces dernières railleries sur l’altération des monnaies sont surtout caractéristiques de cette époque. Chaque trait est une date. Mais continuons ; ce qui suit sur le régime des esclaves, institution déjà minée par la licence générale et à demi renversée par le christianisme, est encore plus curieux :

« Autrefois Querolus n’avait pas toutes ces pensées ; mais les méchans gâtent les bons. Cet Arbiter, chez qui je vais en ce moment, quelle ame scélérate ! Il diminue la nourriture de ses esclaves, et il leur demande plus d’ouvrage qu’ils n’en peuvent faire. Si la loi le permettait, il retournerait le boisseau pour en tirer un lucre honteux. Aussi quand le hasard ou la volonté rassemble Querolus et lui, ils se donnent des leçons mutuelles. Et cependant, par Hercule ! s’il faut tout dire, je préfère encore mon maître ; car enfin, quel qu’il soit, il ne nous refuse pas le nécessaire. Seulement, il frappe trop fort et il crie toujours. Que Dieu les confonde tous deux dans sa colère !

« Et cependant nous ne sommes pas si malheureux ni si sots que quelques-uns le pensent. On nous accuse de trop dormir, parce que nous dormons le jour ; mais si nous dormons le jour, c’est que nous veillons la nuit. Le serviteur qui se repose