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cle porta un coup funeste à la comédie et à la tragédie. Ce spectacle, qui n’admettait pas de paroles, convenait mieux qu’aucun autre à la politique ombrageuse des empereurs, et il avait, de plus, l’inappréciable avantage de fournir un lien, et comme une sorte de langue intelligible et commune aux nations si diverses de mœurs et d’idiomes qui composaient l’empire romain.

Il est très vrai que les dépenses excessives qu’exigeait la mise en scène des tragédies et des comédies, jointes à la pénurie des provinces livrées aux exactions des proconsuls et des préteurs, ne permettaient plus qu’à de longs intervalles l’emploi de ces plaisirs qui supposaient l’indépendance et la richesse.

Il est très vrai que l’usage alors introduit des lectures publiques, soit au Capitole, soit dans les maisons des riches particuliers, s’était peu à peu substitué à l’épreuve plus hasardeuse des représentations théâtrales.

Enfin, il n’est pas douteux que l’amour croissant des Romains pour les spectacles sanguinaires et matériels[1], la passion des courses de chars et de chevaux, la fureur des naumachies, l’habitude des combats d’animaux et de gladiateurs, n’eussent fort attiédi le goût plus noble des jouissances intellectuelles et idéales que faisait naître jadis la muse des Ménandre et des Sophocle. Mais de cette triste préférence accordée généralement sous les empereurs aux spectacles muets et brutaux, est-on en droit de conclure l’entier abandon des spectacles plus délicats dont le génie d’Athènes avait doté l’Italie et le monde romain ? Je ne le pense pas.

J’ai eu récemment l’occasion et le devoir de chercher les vestiges de la comédie et de la tragédie anciennes pendant le ier, iie et le iiie siècle de notre ère[2]. J’ai eu peu de peine à réunir les preuves les plus évidentes et les plus nombreuses de l’existence

  1. On peut voir dans Martial d’horribles exemples du goût des Romains pour les spectacles réels. Lisez aussi dans Tertullien comment on forçait des condamnés à paraître sur le théâtre avec une tunique brûlante pour représenter au naturel la mort d’Hercule.
  2. Dans un cours sur les Origines du théâtre moderne professé à la faculté des lettres de Paris, en 1834 et 1835. Ce cours sera publié chez M. Hippolyte Prévost ; 3 volumes in-8o.