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n’être pas des hommes, mais de pures oreilles. Beau triomphe, et bien digne de pitié !

L’auditoire de San-Carlo a plus de bienveillance et de laisser-aller. Ce qu’il désire surtout, c’est le plaisir et l’émotion. Il ne se montre pas trop scrupuleux sur les lois de la vocalisation, pourvu que la note soit pénétrante, pourvu surtout qu’il soit ému. Il pardonne sans bouderie les traits les plus hasardés, si l’actrice identifiée avec son rôle fait preuve de passion et d’entraînement.

La Scala est plus sévère que San-Carlo. La patrie de Léonard n’est pas si facile à contenter que celle de Salvator. Mais Milan, il faut le reconnaître, met l’art au-dessus de la discussion ; il vaut mieux que nous pour les cantatrices. Il les traite avec une paternelle indulgence. L’auditoire de Covent-Garden ne brille ni par la sagacité, ni par la mélomanie. Il n’y a dans ce partage, rien de honteux pour l’Angleterre. Dans la poésie et dans l’industrie, elle tient un rang assez élevé pour se consoler sans peine de ne pas juger comme Favart, et de ne pas applaudir comme la Scala. Peut-être Mme Malibran s’est-elle exagéré la difficulté d’émouvoir le parterre et les loges de Covent-Garden, peut-être a-t-elle conçu une idée trop sévère de l’impassibilité musicale des ames auxquelles elle s’adresse. J’inclinerais à le penser en me rappelant les frémissemens électriques de la salle à la seconde représentation de la Sonnambula. Quoi qu’il en soit, je ne puis expliquer le jeu forcé, dans quelques scènes, de la délicieuse Amina, qu’en me persuadant qu’elle a voulu agir sur les yeux ; si elle n’avait pas désespéré d’arriver à l’ame par l’oreille, elle eut mis dans ses attitudes une simplicité plus constante, dans ses gestes plus de modération. Elle n’aurait pas engagé avec Elvino une lutte à bras le corps. Elle n’aurait pas essayé sur son bras et son épaule ce doigté furieux qu’on applaudit à Covent-Garden, mais dont, à coup sûr, elle ne s’applaudit pas, si le soir, avant de s’endormir, elle pèse les battemens de main. L’Angleterre est la patrie adoptive de Handel, elle a donné à ses cendres un tombeau dans Westminster-Abbey. Mais elle est la patrie réelle de Bishop et de Barnett. C’est là un plaidoyer puissant en faveur de Mme Malibran.

Si Amina n’était pas si parfaite et si divine quand elle veut, je ne lui reprocherais pas les fautes légères que j’ai aperçues chez elle, et qui, chez une autre, ne se compteraient pas. Qu’elle se moque donc de ma sévérité, qu’elle se rie de mes chicanes, et qu’elle continue long-temps encore d’être, comme aujourd’hui, admirable.


Londres, 25 mai.
A. B.