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REVUE DES DEUX MONDES.

Je regardais Lucie. — Elle était pâle et blonde.
Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur
Sondé la profondeur, et réfléchi l’azur.
Sa beauté m’enivrait ; je n’aimais qu’elle au monde.
Mais je croyais l’aimer comme on aime une sœur,
Tant ce qui venait d’elle était plein de pudeur !

Nous nous tûmes long-temps ; ma main touchait la sienne.
Je regardais rêver son front triste et charmant,
Et je sentais dans l’âme, à chaque battement,
Combien peuvent sur nous, pour guérir toute peine,
Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur,
Jeunesse de visage, et jeunesse de cœur.
La lune, en se levant dans un ciel sans nuage,
D’un long réseau d’argent tout à coup l’inonda.
Elle vit dans mes yeux resplendir son image ;
Son sourire semblait d’un ange ; elle chanta.

Elle chanta cet air qu’une fièvre brûlante
Arrache, comme un triste et profond souvenir,
D’un cœur plein de jeunesse et qui se sent mourir ;
Cet air qu’en s’endormant Desdemona tremblante,
Posant sur son chevet son front chargé d’ennuis,
Comme un dernier sanglot soupire au sein des nuits.

D’abord ses accens purs, empreints d’une tristesse
Qu’on ne peut définir, ne semblèrent montrer
Qu’une faible langueur, et cette douce ivresse
Où la bouche sourit, et les yeux vont pleurer.
Ainsi qu’un voyageur, couché dans sa nacelle,
Qui se laisse au hasard emporter au courant,
Qui ne sait si la rive est perfide ou fidèle,
Si le fleuve à la fin devient lac ou torrent ;
Ainsi la jeune fille, écoutant sa pensée,
Sans crainte, sans effort, et par sa voix bercée,
Sur les flots enchantés du fleuve harmonieux
S’éloignait de la rive en regardant les cieux.

Déjà le jour s’enfuit ; le vent souffle ! silence !