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AU-DELÀ DU RHIN.

pour vous qu’une diversion futile à l’uniformité d’une molle existence, et si les excitations de la pensée vous sont une sensation trop impétueuse et trop mordante : l’ennui vous gagnerait, ou plutôt vous seriez jeté dans un monde dont les qualités mâles et sévères vous opprimeraient. Mais allez à Berlin si vous aimez le spectacle de la force, la fierté des armes, la profondeur de la pensée, le culte ferme et persévérant de la science, les exaltations orgueilleuses de l’intelligence ; si vous vous plaisez à chercher la raison des choses, la suite des traditions et des destinées du monde ; si la grande histoire et la forte métaphysique vous émeuvent ; si les causes, les mystères et les délicatesses de la religion ébranlent votre ame intimement ; si encore vous aimez les longues conversations qui s’alimentent de science et de poésie, où une imagination active, savante et mobile, peut parcourir avec vélocité le cercle entier des idées et des passions humaines. On cause admirablement à Berlin, autrement, mais aussi bien qu’à Paris. C’est dans ces deux capitales que la vie de l’intelligence européenne a le plus d’ardeur et de puissance. L’esprit à Berlin va plus directement à son but, avec plus de précision, de rigueur ; à Paris avec plus de grâce et d’abandon, mais il arrive aussi ; à Berlin, plus de profondeur sur un point donné ; à Paris, plus d’étendue sur toute la surface. Le Prussien met dans ses idées la même discipline et la même tenue que dans ses armées et ses pratiques militaires ; c’est la même exactitude et la même roideur ; le Français manie toujours la science ou la force avec une confiance facile ; nos soldats et nos penseurs laissent parfois la négligence s’introduire dans leurs exercices et dans leurs méthodes, parce qu’ils se croient sûrs de pouvoir ressaisir d’un seul coup la position nécessaire. Nous avons cru remarquer dans l’homme du Brandebourg un mélange de la précision britannique et de la vivacité française, sans que ces deux élémens aient suffisamment trouvé un équilibre harmonieux ; quoi qu’il en soit, la Prusse est aujourd’hui la tête du corps germanique, et si Munich et Dresde sont les musées de l’Allemagne, si Vienne en est l’auberge et la promenade, Berlin en est l’arsenal, le salon et l’université.

La monarchie prussienne a pour devise : Suum cuique, mais elle s’est formée elle-même par des usurpations successives ; la con-