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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

Ce passage nous dispensera d’insister sur le sentiment voisin du désespoir qu’éprouvèrent l’équipage du Victory et son chef, lorsqu’au mois de septembre, ils se virent condamnés à passer un troisième hiver dans ces affreuses régions. Vers la fin du mois d’août, les glaces s’étaient mises en mouvement comme l’année précédente à pareille époque. Le navire, libre une seconde fois, sortit de la baie où il était emprisonné, non sans peine, et seulement pour gagner un point éloigné de quelques milles où il se vit enchaîné de nouveau dans les premiers jours d’octobre. Aucune expédition dans les régions arctiques n’a souffert, à notre connaissance, une série aussi acharnée de contre-temps que celle-ci. Parry, lors de son hivernage à l’île Melville, située à quatre degrés plus au nord, n’en avait pas éprouvé de pareils ; dans son second voyage, il avait hiverné deux ans de suite, mais cet hivernage avait été en très grande partie volontaire, et il n’avait éprouvé que les difficultés ordinaires pour se dégager des glaces. Le problème de la différence de température entre les diverses années n’est nulle part plus inexplicable que dans les régions polaires. L’année 1829 avait été très douce, comme nous l’avons vu, et avait été précédée de plusieurs autres semblables. Le capitaine Ross se présenta donc dans ces parages au moment où il était naturel que des saisons plus rigoureuses succédassent à celles qui venaient de s’écouler. Il est probable qu’il eût évité une grande partie de ses malheurs, si son voyage avait eu lieu quelques années plus tôt. Le mois de septembre de l’année 1831, dont il s’agit en ce moment, présenta une différence frappante de température avec le mois correspondant des deux années précédentes : il fut de six et de quatre degrés plus froid qu’en 1829 et qu’en 1830.

Il ne fallait plus espérer que la glace permît jamais au navire de sortir de ce lieu fatal ; deux hivernages consécutifs, pendant lesquels il avait été pressé violemment dans tous les sens, l’avaient d’ailleurs fatigué ; il faisait eau d’une manière assez inquiétante. La résolution fut donc prise de l’abandonner au retour du printemps, et de gagner en canot et en traîneau le lieu où était encore la plus grande partie des provisions du Fury. La distance à parcourir était d’environ soixante lieues. Les préparatifs de départ commencèrent aussitôt que la température fut devenue supportable. Les mois d’avril et mai 1832 furent employés à transporter sur le chemin que devait prendre l’expédition les provisions dont elle aurait besoin. Tous les objets qui n’étaient pas d’une utilité indispensable, ou que leur volume ne permettait pas d’emporter, tels qu’une partie des chronomètres et autres instrumens astronomiques, les mâts, le gréement, la poudre, furent placés en lieu de sûreté, afin de les retrouver, si jamais on