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langue maternelle ; et on voit qu’il avait pris plaisir à explorer avec eux les antiquités romaines. Du fond de ces montagnes de la Garafagna où il est confiné, s’il souhaite un docte loisir, c’est pour se retrouver à Rome avec cette illustre élite, et prendre, dit-il, tour à tour, chacun d’eux pour guide à travers les sept collines. « Qui, le livre en main, me montre Rome divisée en ses différens quartiers ; qui me dise : Ici fut le cirque, ici le Forum, là Suburra ; ceci est la Voie Sacrée ; ici Vesta, plus loin Janus, avaient leur temple. » On voit que la contagion savante avait gagné l’aimable indifférent, et qu’Arioste ne pensait pas seulement à ses bajocques sur le mont Aventin.

Le Tasse, dans sa vie errante, visita plusieurs fois cette Rome où l’attendait le triomphe après la mort. Le Tasse vit à Rome le jubilé, comme Dante l’y avait vu près de trois cents ans auparavant ; mais il ne paraît pas que l’imagination de l’auteur de la Jérusalem ait été touchée, autant que celle de son grand devancier, par les pompes de cette solennité déjà déchue. La fin du xvie siècle était loin de la foi naïve des commencemens du quatorzième.

Le Tasse revint à Rome en 1586. Dès cette époque, il s’exprime dans ses lettres comme ayant renoncé à toutes les espérances de fortune qui l’y avaient attiré. Les souhaits ambitieux du gentilhomme, et du poète se sont réduits aux humbles désirs du solitaire. « Je voudrais, dit-il, (1588) deux chambres dans un couvent. » Il semblait, saisi d’un sentiment funèbre, chercher déjà dans la ville éternelle la petite cellule où il devait mourir. Toutes ses lettres de cette année et de la suivante datées de Rome, contiennent l’expression multipliée et douloureusement monotone de son dénuement et de son désespoir. Il y est peu question des merveilles de Rome, et cependant le chantre du saint tombeau devait être ému en présence de la confession de saint Pierre. Celui qui vivait assiduement dans le commerce de l’antiquité, comme le prouvent ses écrits en prose, et un Platon grec, que j’ai vu à la bibliothèque Barberine, annoté de sa main, devait être sensible au spectacle des ruines.

Nous avons vu Pétrarque se passionner pour les débris de Rome. Comment le Tasse est-il resté froid et muet devant ces débris ? Hélas ! c’est que Petrarque était heureux ! Ami des papes et des