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PORTRAITS DE ROME.

du temple qui doit son nom à ce vaillant prêtre qui fit sauter l’oreille de Malchus… Puis il se peint gaiement allant faire une visite à un prélat, et reçu par un camérier qui le renvoie au lendemain. Il insiste : « Qu’il sache au moins que je suis à sa porte. » Le camérier répond que son maître ne veut permettre qu’aucun message pénètre jusqu’à lui, quand viendraient Pierre, Paul, Jean et le docteur de Nazareth en personne. » Mais, ajoute l’Arioste avec l’énergique indignation de l’honnête homme, à laquelle se joint la mauvaise humeur du solliciteur exclus, si j’avais des yeux de lynx pour pénétrer par la vue là où je pénètre par la pensée…, peut-être je les verrais tellement occupés dans leurs maisons, qu’ils auraient lieu de se cacher, non seulement de mes regards, mais de ceux du jour. »

L’Arioste comptait sur les promesses de Léon x dont il avait été l’ami avant son élévation à la papauté ; mais il ne tira pas grand fruit de cette amitié, qui, s’il eût voulu entrer dans les ordres, eût pu, dit-il, le conduire à un évêché.

Messer Ludovico Ariosto évêque ! il faudra bien croire que Voltaire a eu la chance d’être cardinal.

L’Arioste n’avait pas le fanatisme de l’antiquité, heureusement pour lui. Son poème y a gagné en originalité ; il n’a pas, comme le Tasse, emprisonné la fantaisie chevaleresque dans le cadre mal approprié de l’épopée antique. On ne peut donc s’étonner qu’il ne se soit pas mis en grands frais d’enthousiasme pour les souvenirs de la vieille Rome : il le dit très franchement et très cruement à son ami Galasso. Ce qui l’a poussé à voir le mont Aventin, c’est le désir d’obtenir une bulle qui lui assure certains deniers, certi bajocchi, qu’il prend volontiers, dit-il, encore que peu nombreux. Voilà l’Aventin mentionné sans beaucoup d’exaltation ; là où l’on pouvait penser à Hercule vainqueur de Cacus, au peuple romain triomphant du patriciat, l’Arioste ne pense qu’à quelques bajocques.

Cependant l’Arioste ne pouvait être entièrement insensible aux souvenirs de l’antiquité romaine ; tout indépendant de Virgile qu’il se montre dans son épopée, il imita Plaute dans ses comédies, il écrivit des élégies latines : il était l’ami de Sadolet, de Bembo, de Paul Jove, de Vida, de ces hommes dont le latin était comme la