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Mais ce qui est fâcheux, c’est de voir ce rêve attendrissant du pays natal déçu par le retour tant désiré ; rien de plus triste que cette plainte du pauvre Dubellay, tombé des ennuis de la dépendance à l’étranger dans les tribulations casanières du coin du feu, s’écriant : Adieu doncques, Dorat, je suis encore Romain.

Deux autres poètes du xvie siècle, bien autrement célèbres que celui que nous venons de nommer, ont trouvé à Rome des désappointemens semblables ; chacun d’eux les a exprimés à sa manière. Ces deux poètes sont l’Arioste et le Tasse.

Jamais peut-être, on ne vit mieux qu’en ces deux grands hommes, quelle est sur la vie, les actions, les ouvrages, l’influence du caractère indépendamment des circonstances. Leur situation dans la vie était à peu près la même. Ils furent exposés à des traverses et à des contrariétés fort semblables : tracasseries de cour, ingratitude des grands ; oubli, indifférence pour le malheur et le génie ; l’un et l’autre éprouvèrent toutes ces choses. L’ame tendre, mélancolique, irritable du Tasse, ploya sous le fardeau. L’ame forte, douce et sereine de l’Arioste résista : c’est au milieu d’ennuis sans cesse renaissans, c’est sous le poids d’une situation précaire et pénible, c’est au fond des montagnes de la Garafagna où il fut relégué durant de longues années pour exercer une mince charge de justice dans un pays perdu ; en un mot, c’est au sein d’une vie toute pleine d’agitations, de misères, qu’il a conservé cette gaieté d’humeur, cette placidité d’imagination, empreintes dans chaque stance du Roland furieux.

Rien n’est plus douloureux que de lire les lettres du Tasse. C’est un perpétuel gémissement ; c’est un cri de détresse non interrompu. Le divin malade s’agite en désespéré sur sa couche, sans trouver une situation où il puisse se reposer. L’Arioste, dans ses satires qui sont de véritables épîtres, et un peu des confessions intimes, raconte gaiement ses tribulations et ses mécomptes ; Rome joue dans ceux-ci un grand rôle, comme nous l’avons vu pour Dubellay, comme nous le verrons pour le Tasse. Du reste, il s’en venge par en médire ; et petite est l’édification que la cour du Vatican lui inspire ; il parle même assez familièrement du prince des apôtres, quand il demande à un ami de lui faire préparer un logis près