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Ainsi, dès cette époque, on opposait la Rome du passé à la Rome du présent. Des voix s’élevaient pour regretter l’époque de la gloire antique, et pour maudire l’abaissement moderne.

À ces regrets, à ces malédictions, se joignaient déjà d’amères invectives contre le commerce des reliques. On conçoit l’union de ces sentimens ; le culte et le deuil de l’antiquité nourrissaient la haine et le mépris de ce qui l’avait remplacée. Cette alliance du paganisme des souvenirs, et de l’opposition frondeuse dirigée contre l’autorité chrétienne, s’est plusieurs fois reproduite au moyen-âge, et au xvie siècle, siècle érudit et novateur à la fois, elle a aidé la réforme, plus puissamment qu’on ne pense.

Nous la retrouvons dans les beaux vers élégiaques inspirés, vers le commencement du xiie siècle, à Hildebert, évêque de Tours, par le spectacle de Rome après les dévastations de Guiscard.

« Rien n’est égal à toi, ô Rome ! quoique tu ne sois presque rien qu’une ruine… tes débris montrent ce que tu fus dans ton intégrité… tes chefs prodiguèrent les trésors, le destin sa faveur, les artistes leur génie, le monde entier ses richesses, et elle est tombée cette ville de laquelle, si je cherche à dire quelque chose qui soit digne d’elle, je dirai seulement : Elle fut Rome ! Et cependant, ni la suite des années, ni la flamme, ni le glaive, n’ont pu entièrement abolir sa splendeur ; il en reste trop, et trop en est tombé, pour qu’on puisse détruire ce qui est debout, ou relever ce qui est gisant. »

Jusqu’ici Hildebert exprime seulement une tendre commisération pour les ruines qu’il a devant les yeux, et un noble respect pour la gloire ancienne de Rome. Mais voici ce qu’il ajoute, et ce qui pour un évêque est peut-être un peu plus extraordinaire : « Ici les dieux eux-mêmes admirent les formes des dieux, et ils voudraient ressembler aux traits que l’art leur a prêtés. La nature n’a pu créer des dieux égaux en beauté aux images merveilleuses que l’homme a faites ; ces dieux semblent respirer, et on les honore plutôt pour le talent des artistes que pour leur propre divinité. »

Dans ces vers où une expression malhabile s’efforce de rendre un sentiment profond, d’exprimer, comme en tâtonnant, l’admiration des chefs-d’œuvre de l’art antique ; dans ces vers n’est-il pas curieux de voir les dieux du paganisme, évoqués pour ainsi dire,