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PORTRAITS DE ROME.

seric, qui devait la ravager quinze ans plus tard. Païen, il ne parlait pas de la Rome chrétienne, déjà plus puissante que l’autre[1], même sur les esprits de ses barbares vainqueurs. En effet, ce n’était pas Jupiter Capitolin ou la mère des Énéades qui avait adouci la furie des Goths d’Alaric, maîtres de Rome : c’était au nom de saint Pierre et de saint Paul qu’ils s’étaient modérés au sein du désordre et du pillage, et qu’on les avait vus portant processionnellement les vases sacrés dans les rues de la ville conquise. C’était la Rome chrétienne, la Rome nouvelle, qui commençait à parler à l’imagination des peuples germaniques qu’elle devait long-temps dominer.

Mais la Rome des arts et de la civilisation antique en imposait aussi à ces peuples. Dans le siècle suivant, nous voyons Théodoric occupé à soutenir Rome dans sa chute, à réparer sa ruine déjà commencée. Ce n’est pas lui seulement, l’homme extraordinaire, l’Ostrogoth civilisateur, le Charlemagne anticipé, qui témoigne de son respect et de son amour pour la ville où il voulut entrer en successeur des Césars. S’il fit revivre les lois des empereurs contre ceux qui détruisaient les monumens publics, s’il releva le théâtre de Pompée, sa fille, ses successeurs, Amalasonthe, Athanaric, Théodat, suivirent son exemple ; ils firent venir de la Grèce des marbres précieux pour en parer cette Rome où ils étaient fiers de régner. Toute cette héroïque famille des Amales, la plus noble d’entre les Barbares, paraît avoir partagé jusqu’à un certain point le sentiment d’admiration et de tendresse que Rome, au nom de son ancienne gloire et d’un reste de splendeur, inspirait encore à tous ceux qui la contemplaient.

Ce sentiment était énergique, surtout chez ces hommes fidèles aux lettres antiques dont Théodoric aimait à s’entourer, jusqu’au jour où le barbare reparaissant tout à coup sous la pourpre, il leur faisait trancher la tête, comme à Symmaque, ou jaillir les yeux du front, comme à Boece. Ces hommes, qu’on peut regarder

  1. Saint Jérôme, un peu auparavant, exagérait, au contraire, l’abandon des temples païens, qu’il disait pleins de poussière et de toiles d’araignées, tandis que le peuple, passant devant eux sans s’y arrêter, se précipitait vers les tombeaux des martyrs. (Lettre 7, à Læta.)