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jour plus pur. » Cependant c’est l’heure du cirque… Il entend les applaudissemens et les cris retentir : « soit qu’ils me parviennent réellement, dit-il, soit illusion de mon désir. » Et cependant Rutilius aime son pays ; il aime cette triste Gaule où il retourne, et que le flot des Barbares vient d’inonder ; il l’aime d’autant plus qu’elle est plus désolée, et ce sentiment lui inspire même quelques vers touchans et ces nobles paroles : « C’est un moindre crime de négliger ses concitoyens quand ils sont à l’abri du péril, mais les malheurs publics font un appel à la foi de tous. » Il revient donc pieusement dans cette malheureuse patrie à laquelle il appartient ; mais ce n’est pas sans éprouver un vif attendrissement au partir de la ville bien-aimée. Rutilius n’est pas le dernier qui, en quittant Rome, ait senti ces deux émotions se combattre et se mêler dans son cœur.

Pour le magistrat gallo-romain du ve siècle, Rome était toujours la capitale du monde, caput orbis. Païen encore, cent ans après le concile de Nicée, il avait foi aux destinées du Capitole ; il ne pouvait croire à la chute prochaine de Rome, qui lui apparaissait si brillante et si magnifique, « avec ses trophées nombreux comme les étoiles, ses temples qui éblouissaient les regards,… les voûtes aériennes de ses aqueducs, qui s’élevaient vers le ciel comme des montagnes, apportaient des fleuves dans ses murs, et au sein de ses édifices retentissant du bruit de mille fontaines. » Cette peinture de Rome, inspirée par l’enthousiasme du polythéisme et du patriotisme romains à un des derniers zélateurs de ces deux religions, cette peinture nous frappe, et par les traits qui en subsistent, et par ceux que le temps a effacés. Les trophées et les temples qu’admirait Rutilius sont dans la poussière ; la plupart de ces merveilleuses lignes d’aqueducs qu’il vit debout, sont brisées !… Deux seulement, que les papes ont imparfaitement réparées, suffisent pour abreuver la Rome moderne avec une profusion qu’on admire encore, car c’est même aujourd’hui un grand charme de cette ville, que les nombreuses fontaines dont elle est toute remplie et toute résonnante, comme au temps de Rutilius.

Rutilius, aveugle au présent et crédule à l’avenir, promettait des destins éternels aux dieux qui tombaient, et il faisait l’apothéose de Rome entre Alaric, qui l’avait prise quinze ans plus tôt, et Gen-