Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/493

Cette page a été validée par deux contributeurs.
487
REVUE. — CHRONIQUE.

suite du procès, ce dont nous doutons fort, ce ne serait pas de la prison du Luxembourg, mais bien de la salle et des siéges dorés de la pairie que seraient partis les premiers brandons.

Un homme d’esprit et haut placé disait tout récemment qu’il voyait bien, dans un avenir plus ou moins éloigné, la possibilité de la chûte du gouvernement, mais qu’il ne comprenait pas qu’on pût admettre la pensée de la chûte du ministère. Aujourd’hui, disait-il, au point où en sont les choses, on ne pourrait créer un nouveau cabinet sans faire une fournée de pairs, et sans dissoudre la chambre des députés, ainsi que la garde nationale, ou du moins, tout son état-major, tant ces différens pouvoirs ont été compromis par le ministère. Aussi le ministère est maître des choses, et il restera.

Dans la chambre des députés, le ministère avait posé la question de son existence sur le traité des vingt-cinq millions. Ce pas a été victorieusement franchi. La chambre des députés s’est généreusement dévouée à toutes les flétrissures qui devaient résulter d’un tel vote. Dès ce jour, elle a appartenu corps et ame au ministère. Le règlement des comptes de 1834, et toutes les discussions qui ont lieu depuis quinze jours, l’ont bien fait voir ; c’est un marché si bien conclu, que les ministres se donnent tout au plus la peine de se montrer au palais Bourbon ; leur partie se joue maintenant au Luxembourg.

Cette partie était difficile à engager. La chambre des pairs renferme un grand nombre d’hommes tranquilles, qui ne demandent que la sécurité et le repos qu’ils croient avoir bien gagné par tant d’années consacrées à la guerre ou aux travaux de la science et de l’administration. Elle se compose, en partie, d’ambitions satisfaites, qu’on ne saurait plus stimuler. La crainte et la peur ne pouvaient y servir de levier, comme dans le cercle rétréci des idées mercantiles et bourgeoises qui règnent dans l’autre chambre. Les pairs les plus influens étaient, en outre, opposés au procès. M. Decazes, établi paisiblement dans les grands appartemens du Luxembourg, se souciait peu de se voir troublé dans son nouvel établissement. Sa conduite à l’égard des accusés qu’il avait interrogés, prouvait suffisamment qu’il blâmait toutes les rigueurs de cette procédure. M. Pasquier, il faut bien le croire, avait présenté au roi plusieurs mémoires en faveur de l’amnistie. M. de Talleyrand haussait les épaules de pitié, quand on lui parlait du procès-monstre. Tout semblait s’opposer à ce procès ; mais il était nécessaire à l’existence du ministère, et il devait se faire en dépit de ceux qui le repoussaient ; il devait même se faire par eux, et aujourd’hui nous les voyons entraînés à le soutenir. Ils vont plus loin encore que ne voulaient les ministres, et demain peut-être, ceux-ci seront forcés de les