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ombrages ; ce sont les entretiens du milieu du jour le long des belles eaux voilées de verdure. Un hôte habituel de Coppet, qu’interrogeait en ce sens ma curiosité émue (il n’est pas de ceux que j’ai nommés plus haut), me disait : « J’étais sorti un matin du château pour prendre le frais ; je m’étais couché dans l’herbe épaisse, près d’une nappe d’eau, à un endroit du parc très écarté, et je regardais le ciel en rêvant. Tout d’un coup j’entendis deux voix ; la conversation était animée, secrète, et se rapprochait. Je voulais faire du bruit pour avertir que j’étais là ; mais j’hésitai, jusqu’à ce que, l’entretien continuant et s’établissant à quelques pas de moi, il fut trop tard pour interrompre, et il me fallut tout écouter, reproches, explications, promesses, sans me montrer, sans oser reprendre haleine. » — « Heureux homme ! lui dis-je ; et quelles étaient ces deux voix ? Et qu’avez-vous entendu ? » — Puis, comme le délicat scrupule du promeneur ne me répondait qu’à demi, je me gardai d’insister. Laissons au roman, à la poésie de nos neveux, le frais coloris de ces mystères ; nous en sommes trop voisins encore. Laissons le temps s’écouler, l’auréole se former de plus en plus sur ces collines, les cimes, de plus en plus touffues, murmurer confusément les voix du passé, et l’imagination lointaine embellir un jour, à souhait, les troubles, les déchiremens des ames, en ces édens de la gloire.

Corinne parut en 1807. Le succès fut instantané, universel ; mais ce n’est pas dans la presse que nous devons en chercher les témoignages. La liberté critique, même littéraire, n’existait plus. Mme de Staël ne pouvait, vers ces années, faire insérer au Mercure une spirituelle, mais simple analyse, du remarquable essai de M. de Barante sur le xviiie siècle. On était, quand parut Corinne, à la veille et sous la menace de cette censure, absolue. Le mécontentement du souverain contre l’ouvrage, probablement parce que cet enthousiasme idéal n’était pas quelque chose qui allât à son but, suffit à paralyser les éloges imprimés. M. de Feletz, dans les Débats, continua sa chicane méticuleuse et chichement polie ; M. Boutard loua et réserva judicieusement les opinions relatives aux beaux-arts. Un M. C. (dont j’ignore le nom) fit dans le Mercure un article sans malveillance, mais sans valeur. Eh ! qu’importe dorénavant à Mme de Staël cette critique à la suite ? Avec Corinne elle est décidément entrée dans la gloire et dans l’empire. Il y a un moment