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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

eux deux tenant la raquette magique du discours, et se renvoyant, durant des heures, sans manquer jamais, le volant de mille pensées entrecroisées. Mais il ne faudrait pas croire qu’on fût là de tout point sentimental ou solennel ; on y était souvent simplement gai ; Corinne avait des jours d’abandon où elle se rapprochait de la signora Fantastici. On jouait souvent à Coppet des tragédies, des drames, ou les pièces chevaleresques de Voltaire, Zaïre, Tancrède si préféré de Mme de Staël, ou des pièces composées exprès par elle ou par ses amis. Ces dernières s’imprimaient quelquefois à Paris, pour qu’on pût ensuite apprendre plus commodément les rôles ; l’intérêt qu’on mettait à ces envois était vif, et quand on avisait à de graves corrections dans l’intervalle, vite on expédiait un courrier, et, en certaines circonstances, un second, pour rattraper ou modifier la correction déjà en route. La poésie européenne assistait à Coppet dans la personne de plusieurs représentans célèbres. Zacharias Werner, l’un des originaux de cette cour, et dont on jouait l’Attila et les autres drames avec grand renfort de dames allemandes, Werner écrivait, vers ce temps (1809), au conseiller Schneffer (nous atténuons pourtant deux ou trois traits, auxquels l’imagination, malgré lui sensuelle et voluptueuse, du mystique poète, s’est trop complue) : « Mme de Staël est une reine, et tous les hommes d’intelligence qui vivent dans son cercle ne peuvent en sortir, car elle les y retient par une sorte de magie. Tous ces hommes-là ne sont pas, comme on le croit follement en Allemagne, occupés à la former ; au contraire, ils reçoivent d’elle l’éducation sociale. Elle possède d’une manière admirable le secret d’allier les élémens les plus disparates, et tous ceux qui l’approchent ont beau être divisés d’opinions, ils sont tous d’accord pour adorer cette idole. Mme de Staël est d’une taille moyenne, et son corps, sans avoir une élégance de nymphe, a la noblesse des proportions… Elle est forte, brunette, et son visage n’est pas, à la lettre, très beau. Mais on oublie tout, dès que l’on voit ses yeux superbes, dans lesquels une grande ame divine, non-seulement étincelle, mais jette feu et flamme. Et si elle laisse parler complètement son cœur, comme cela arrive si souvent, on voit comme ce cœur élevé déverse encore tout ce qu’il y a de vaste et de profond dans son esprit, et alors il faut l’adorer comme mes amis A.-W. Schlegel et Benjamin