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l’épée, fit prendre la fuite à ces hommes de guerre, qui n’eussent point reculé dans un combat. Ils coururent tous à leurs chevaux, celui qui avait bu le poison fit de même, et parvint à se placer sur le sien, mais sa vue se troublait, ses mains perdaient la force de soutenir la bride. Mené par son cheval qu’il ne pouvait plus diriger et qui l’emportait au galop à la suite des autres, il fit quelques centaines de pas et tomba mort[1]. Le bruit de cette aventure causa au loin un effroi superstitieux. Parmi les possesseurs de domaines du diocèse de Rouen, personne ne parla plus de citer Fredegonde à comparaître devant la grande assemblée de justice, qui, sous le nom de mâl, se réunissait au moins deux fois chaque année.

C’était l’évêque de Bayeux, Leudowald, qui, à titre de premier suffragant de l’archevêché de Rouen, devait prendre le gouvernement de l’église métropolitaine durant la vacance du siége. Il se rendit dans la métropole, et de là il adressa officiellement à tous les évêques de la province une relation de la mort violente de Prætextatus ; puis, ayant réuni le clergé de la ville en synode municipal, il ordonna, d’après l’avis de cette assemblée, que toutes les églises de Rouen fussent fermées, et qu’on n’y célébrât aucun office jusqu’à ce qu’une enquête publique eût mis sur la trace des auteurs et des complices du crime[2]. Quelques hommes de race gauloise et d’un rang inférieur furent arrêtés comme suspects, et soumis à la question ; la plupart avait eu connaissance du complot contre la vie de l’archevêque et reçu même à cet égard des ouvertures et des offres : leurs révélations vinrent à l’appui du soupçon général qui pesait sur Fredegonde ; mais ils ne nommèrent aucun de ses deux complices, Mélantius et l’archidiacre. La reine, sentant qu’elle

  1. Exclamat suis, dicens : « Fugite, ô miseri, fugite malum hoc, ne mecum pariter perimamini. » Illis quoque non bibentibus, sed festinantibus abire, ille protinùs excaecatus, ascensoque equo, in tertio ab hoc loco stadio cecidit, et mortuus est. (Greg. Turon. Hist. lib. viii, pag. 327)
  2. Post haec Leudovaldus episcopus epistolas per omnes sacerdoces direxit, et accepto consilio, ecclesias rothomagenses clausit, ut in his populus solemnia divina non spectaret, donec indagatione communi reperiretur hujus auctor sceleris. (Ibid.)