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teneur des lois canoniques[1]. Ce débat, qui prolongeait la séance, fut interrompu tout à coup par un dénouement où l’on pouvait reconnaître la main et la décision de Fredegonde, ennuyée des lenteurs de la procédure et des subtilités de son mari. Des gens armés entrèrent dans l’église et enlevèrent Prætextatus sous les yeux de l’assemblée qui n’eut plus qu’à se séparer. L’évêque fut conduit en prison au-dedans des murs de Paris dans une geôle dont les restes subsistèrent long-temps sur la rive gauche du grand bras de la Seine. La nuit suivante, il tenta de s’évader et fut cruellement battu par les soldats qui le gardaient. Après un jour ou deux de captivité, il partit pour aller en exil aux extrémités du royaume dans une île voisine des rivages du Cotentin : c’était probablement celle de Jersey, colonisée depuis un siècle, ainsi que la côte elle-même, jusqu’à Bayeux, par des pirates de race saxonne[2].

L’évêque de Rouen devait, selon toute apparence, passer le reste de sa vie au milieu de cette population de pêcheurs et de forbans ; mais après sept ans d’exil, un grand évènement le rendit tout à coup à la liberté et à son église. En l’année 584, le roi Hilperik fut assassiné avec des circonstances qui seront racontées ailleurs, et sa mort, que la voix publique imputait à Fredegonde, devint, partout le royaume de Neustrie, le signal d’une espèce de révolution. Tous les mécontens du dernier règne, tous ceux qui avaient à se plaindre de vexations ou de dommages se faisaient justice eux-mêmes. On courait sus aux officiers royaux qui avaient abusé de leur pouvoir, ou qui l’avaient exercé avec rigueur et sans ménagement pour personne. Leurs biens étaient envahis, leurs maisons pillées et incendiées. Chacun profitait de l’occasion pour se livrer à des représailles contre ses oppresseurs ou ses ennemis.

  1. Aut certè judicium contra eum scriberetur, ne in perpetuum communicaret. Quibus conditionibus ego restiti, juxta promissum regis, ut nihil extra canones gereretur. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 246.)
  2. Tunc Praetextatus à nostris raptus oculis, in custodiam positus est. De quâ fugere tentans nocte, gravissimè caesus, in insulam maris, quod adjacet civitati Constantinae, in exsilium est detrusus. (Ibid.) — V. Dulaure, Hist. de Paris, tom. 1er. — V. l’Hist. de la conquête de l’Angleterre,  liv. i et ii.