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qua : « La justice, je l’ai trouvée auprès de tous, et ne puis la trouver auprès de toi ; mais je sais bien ce que je ferai pour que tu sois noté parmi le peuple, et que tous sachent que tu es un homme injuste. J’assemblerai les habitans de Tours, et je leur dirai : Élevez la voix contre Grégoire, et criez qu’il est injuste et ne fait justice à personne ; et pendant qu’ils crieront ainsi, j’ajouterai : Moi qui suis roi, je ne puis obtenir justice de lui, comment vous autres qui êtes au-dessous de moi, l’obtiendriez-vous[1] ? » Cette espèce d’hypocrisie pateline, par laquelle l’homme qui pouvait tout essayait de se faire passer pour opprimé, souleva dans le cœur de Grégoire un mépris qu’il eut peine à contenir, et qui fit prendre à sa parole une expression plus sèche et plus hautaine. « Si je suis injuste, reprit-il, ce n’est pas toi qui le sais, c’est celui qui connaît ma conscience et qui voit au fond des cœurs ; et quant aux clameurs du peuple que tu auras ameuté, elles ne feront rien, car chacun saura qu’elles viennent de toi ; mais c’est assez là-dessus, tu as les lois et les canons, consulte-les avec soin, et si tu n’observes pas ce qu’ils ordonnent, sache que le jugement de Dieu est sur ta tête[2]. »

Le roi sentit l’effet de ces paroles sévères ; et comme pour effacer de l’esprit de Grégoire l’impression fâcheuse qui les lui avait attirées, il prit un air de cajolerie, et montrant du doigt un vase rempli de bouillon qui se trouvait là parmi les pains, les plats de viandes et les coupes à boire, il dit : « Voici un potage que j’ai fait préparer à ton intention, l’on n’y a mis autre chose que de la volaille, et quelque peu de pois chiches[3]. » Ces derniers mots

  1. Ad haec ille, ut erat ab adulatoribus contra me accensus, ait : « Cum omnibus enim inveni justitiam, et tecum invenire non possum. Sed scio quid faciam, ut noteris in populis… » (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 244.)
  2. Ad haec ego : « Quòd sim injustus, tu nescis. Scit enim ille conscientiam meam, cui occulta cordis sunt manifesta. Quod verò falso clamore populus te insultante vociferatur, nihil est, quia sciunt omnes à te haec emissa… » (Ibid.)
  3. At ille quasi me demulcens, quod dolosè faciens putabat me non intelligere, conversus ad juscellum quod coràm erat positum, ait : « Propter te haec juscella paravi, in quibus nihil aliud praeter volatilia, et parumper ciceris continetur. » (Ibid.)