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fixes. Il voulait à toute force présider un ministère de la gauche, et à toute force aussi persuader à tout le monde que sa ruine est complète. Le maréchal disait, à qui voulait l’entendre, que les affaires de l’état l’avaient tant absorbé, que les siennes en ont terriblement souffert. Son dernier ministère lui coûte sa fortune ; c’est là ce qu’il affirme du moins. Il ajoute qu’il sera désormais forcé de vivre du produit de sa terre de Saint-Amand, de ses fruits et de ses légumes, et d’augmenter, au fond de sa province, le nombre de nos vieux soldats laboureurs. Touchés de la détresse du maréchal, Mme Adélaïde et M. le duc d’Orléans voulaient qu’on lui achetât pour un million de tableaux. On sait comment le roi réduisit cette somme à cinq cent mille francs. Ce prêt, selon le roi, ce don, d’après le maréchal, ne se réalisera qu’en cinq paiemens annuels, comme l’indemnité américaine. Qui sait même si ces termes de paiement n’ont pas été savamment combinés avec ceux de l’indemnité ? Toujours est-il que, pendant cinq ans, le maréchal ne sera pas maître de ses mouvemens, qu’on le tiendra à sa solde et dans une sorte de dépendance qui l’éloignera du ministère. Il faut espérer que le pauvre duc de Dalmatie emploiera ces cinq années à refaire sa fortune, et à sortir de l’indigence où il se trouve.

Le roi subit patiemment M. de Broglie et M. Guizot ; la chambre est dévouée, la majorité compacte et si disciplinée, qu’on la dirait formée des mains même de M. de Villèle ; la chambre des pairs est à deux genoux ; les concurrens s’effacent, les rivaux et l’opposition sont divisés, le pays semble plongé dans une insouciance profonde, et demande à peine si on le gouverne et qui le gouverne. Qui pourrait donc maintenant s’opposer à l’accomplissement des vues du ministère, à sa puissance, à la réalisation de son système, s’il a un système ? Personne, si ce n’est le ministère lui-même. En France, on ne tue guère les pouvoirs ; ils se suicident. Ainsi ont fini tous les ministères de corruption qui se sont écroulés les uns sur les autres, laissant sur le sol cette épaisse couche de fange sur laquelle repose tout l’édifice politique que nous voyons. Personne donc ne renversera le ministère, ni les écrivains, ni les orateurs de l’opposition, ni la magistrature, ni la pairie, ni la chambre. Lui-même, lui seul se renversera. Qui peut nuire maintenant à M. Thiers, si ce n’est M. Thiers ? Quel autre que M. de Broglie fera choir M. de Broglie à force de faux pas ? Qui peut mieux que M. de Rigny compromettre le titulaire actuel du ministère de la guerre ? Qui pourrait écrire contre M. Persil des factums plus violens que les ordonnances et les circulaires du garde-des-sceaux. Quels sont les pamphlets qu’on lit à la tribune contre le ministre de l’instruction publique, si ce n’est la volumineuse collection des pamphlets de M. Guizot ? Pour nous, adversaires de ces hommes et de ce système, nous ne leur